jeudi 10 octobre 2013

10.10.13

Ce sera ça, désormais, les jours et les nuits, une succession ininterrompue de vagues, de remous, de creux, de coton, d'écume légère et de tasses salées. La vie comme un fil que l'on perd presque toutes les secondes, elle m'échappe, je refuse formellement de la laisser entrer mais elle s'embobine toujours autour des cœurs sages. 

C'est des voix chuchotées que je ne veux pas voir se chuchoter. C'est des présences qui passent de près et de loin que j'aimerais garder pour toujours dans les endroits que j'appellerai ici, là, céans. C'est des jours qui s'écoulent plus vite que le sable du sablier. C'est la nuit qui tombe plus tôt, les mouettes derrière les carreaux et mon radiateur qui ne veut pas s'allumer, pas encore, il souffle, le ventre plein de la poussière de siècles entiers. C'est tous les détails les couleurs les sensations les humeurs les températures de cette vie que je sauvegarde pour me sauver. C'est les encore que je n'ose pas articuler quand ça me plaît. C'est les grandes personnes qui répondent à mes petits appels et renversent l'ordre de grandeur en élargissant celui des possibles. C'est le silence, c'est la bienveillance dans tout ce que j'entreprends, c'est la croyance dans les intérieurs, la croyance dans les croyances, la croyance dans les regards et rien que les regards, même ceux se perdent s'étreignent s'éteignent s'évitent s'évitent encore par peur de se trouver.

vendredi 26 juillet 2013

22.07.13

Il faut bien que ça sorte toutes ces pensées alors que la pleine lune éclaire les murs de la maison. Il faut que ça s'en aille chaque jour un peu plus, à chaque bain dans la Grande douce j'aimerais me délester de quelques grammes de préoccupations et gagner en échange la délicieuse capacité de m'émerveiller, de m'attarder, de me poser, de me reposer sur les choses qui m'entourent, les chaises, les pierres au bord de l'eau, les bancs sous les grands arbres, les coins d'ombre, toutes ces choses qui ne bougent pas. Paradoxalement c'est dans cet endroit incroyablement apaisant que monte en moi l'impression d'avoir perdu mon chemin, comme s'il n'y avait que deux routes à choisir: l'indésirable ou l'impossible. J'ai cette capacité à griller mes cartes avant même qu'elles aient eu le temps d'exister. C'est quand qu'on apprend à s'apprendre? Quand est-ce qu'on comprend que c'est à nous de faire les démarches nécessaires et qu'une fois qu'on a commencé le reste s'ensuit? J'ai perdu le cordon ombilical qui me rattachait à certaines sphères du monde dans lequel nous évoluons, je ne sais plus d'où je viens, quel âge j'ai, où j'habite, où je vais, ce qui occupe mes pensées les plus profondes ni quelles questions me meuvent, quelles langues m'habitent, ce qui me fait plaisir, quels mots employer. Je ne sais plus qui m'entoure, quelle place j'occupe, je perds un peu le sens du présent ou plutôt la capacité à le cueillir puisque je ne pense plus qu'en termes d'heures qui passent, de températures à la hausse, de repas, de satiété, de rafraîchissement, d'agitation ou de silence. 

J'ai eu mal pour K. aujourd'hui, 11 heures de travail et les yeux du monde entier rivés sur elle. Les naissances me fascinent mais m'effraient encore plus, à chaque fois je sens qu'au fond de moi les questions se bousculent. Un corps peut-il vraiment supporter tant de tensions, de douleurs et d'émotions? En serai-je là un jour moi-même? Aurai-je des personnes de confiance autour de moi? Aurai-je les moyens d'accueillir et d'aimer un nouveau-né? Je sais bien que sur le moment ces questions ne se posent plus mais là, bizarrement, elles prennent beaucoup de place. Je vois des gens tout autour de nous, des rythmes le long de l'eau, des enfants qui courent et s'agitent pour aller se chercher une crêpe, leurs parents qui débarrassent la table en deux-deux et se déhanchent toujours, toutes ces cigarettes entre les pouces et les majeurs qui étirent leurs volutes, ce sont des mondes qui cohabitent et moi au milieu de tout ça, les bras ballants mais le cœur emballé, j'avale ces impressions, je ravale mon appétit d'autrui. Combien de temps encore? Il est temps, je crois, de reprendre le volant, le vrai, celui qu'on tient fermement entre ses doigts le temps d'un été et ensuite la vie entière pour cesser de perdre la direction de l'avant et reprendre possession des virages. 

jeudi 11 juillet 2013

11.07.13

Tout a commencé à 7h35 entre Maastricht et cette ville de Visé dont la gare frise l'autoroute. Le train nous fila entre les doigts, le poids de ma valise ne me ralentissait pas plus que ça, le chef de gare a juste jugé bon de siffler quelques secondes avant l'arrivée de 15 passagers. Soit. Ensuite, la voiture blanche m'attendait en warning, je suis montée à l'arrière en enjambant ce que je pouvais, comme si cette banquette avait passé ses nuits à attendre le jour où la route me rendrait la liberté du long way home. Dans le rétroviseur, je croisais souvent les yeux d'une fille inconnue, d'une autre Charlotte qui m'apprit qu'en Belgique les dictées étaient souvent bannies des cours de français et les bras m'en sont presque tombés. Ils finiront où les s à la deuxième personne si on les oublie comme ça sans scrupules? Je frissonne facilement pour ce genre de choses. Le silence s'est installé dans l'habitacle et, comme souvent, je me suis regardée de l'autre côté de la vitre, un appel de ma grand-mère en plein milieu de l'autoroute, mon incapacité à répondre à son ''Alors dis-moi, tu es où là?'', Paris au loin, le compte-à-rebours qui avait été lancé dès mon réveil quelques minutes avant 6h, mon jus de fruits pressé qui se réchauffait à mesure que le soleil tapait, l'odeur du pain de mie des sandwiches qui n'en sont pas des vrais, la tête de la fille devant moi qui tombait d'un côté ou de l'autre et la route qui s'élançait à travers l'appuie-tête. 

Aux abords de la capitale, le périph' nous a prises à la gorge sans attendre et les minutes défilaient nettement plus vite que les kilomètres. Les trains n'attendent pas, c'est bien connu. En deux secondes me voici parachutée dans un rame de métro, puis une autre, et une troisième très imprévue, me voilà le front dégoulinant, les bretelles glissant, les pieds gonflant, les seins secoués et le souffle court sur le pont Charles de Gaulle, 29° au compteur, entre deux gares qui ne m'avaient jamais parues si éloignées. Les sièges des trains corail ont perdu depuis longtemps leur patin, ils collent aux cuisses comme des ventouses. J'ai bien vu, monsieur qui lisait le Nouvel Obs et posa son billet pour Périgueux bien à plat sur la table, votre regard interrogateur face à la rougeur de mon visage, oui oui, vous aussi, jeune bourgeois scrupuleusement moustachu, mais j'ai couru, je me suis extirpée de mon propre corps du mieux que je pouvais, si vous saviez combien de couloirs j'ai avalés et de minutes j'ai comptées, celles qui tournaient et celles que j'aurais voulu rallonger pour tout au monde, avant de pouvoir vous demander, à vous, de me monter ma valise sur la galerie, et à vous, d'échanger de place pour que le paysage s'offre à mes yeux plutôt que de courir après lui et que tout se brouille. 

Pendant quatre heures, j'aurai suivi le fil de cette conversation qui plongeait le compartiment entier dans les dessous des productions du cinéma français. Et bam, la fiction se réduit à la plus pragmatique des réalité faite de chiffres, de budgets, de décors, de locations de décors, de coups de fil foireux, d'imprévus mal gérés, de comédiens antipathiques et d'endurance sur le long terme. Toujours est-il que ces trois passagers étaient là pour tourner un court-métrage à, je l'apprendrais plus tard, presque trois pas de ma maison. Cela veut dire qu'à quelques kilomètres de moi, de cet être qui écrit alors que les fenêtres sont noires, que les lampadaires résistent aux orages et aux grillons, sur Muy Tranquilo de Gramatik, ces jeunes personnes s'affairent sur les routes du Lot pour faire voir le jour à un projet. On s'est suivis jusqu'à la petite gare du terminus, le long du paysage qui apaise de son vert, les vaches limousines, les gares désertes, les noms qui sonnent si bien, les anciennes plaques d'immatriculation sur la plupart des voitures, tout ça, tous ces éléments qui soufflent souvent quelques chose comme tant que nous sommes là, ça ne pourra pas être complètement la fin de l'espoir. Ces personnes-là ne se retourneront pas, pas même pour me sourire en guise d'au revoir, alors que moi je m'étais préparée deux phrases bien ficelées pour finir cet échange en pointillés, pour les revoir peut-être et assister à la naissance de leur film prometteur. Non, pas de regard ni de clin d'œil, cela m'a bien sûr permis d'accuser le manque de spontanéité de tous les français, tous autant qu'ils sont, autant que nous sommes, mais j'ai ouvert la porte de ma maison avec la ferme impression that I should be here and nowhere else.  

samedi 22 juin 2013

29.04.13

Trois fois aujourd'hui j'ai vu la mer à l'écran, trois histoires qui se déroulent, trois finistères, rien de plus normal que des gens qui vont ensemble aux limites de la terre ferme pour se prouver qu'on tient encore mieux face au vide. Seule dans mon lit, au milieu de l'après-midi, mes larmes coulent pour Adam, Roméo et Juliette et ce film qui n'est que battements, bataille et beauté. La beauté de la bataille pour les battements d'un enfant. Elle sait filmer les carreaux qui donnent sur la vie de la ville et ceux qu'on voit moins et se construisent entre les gens. Avec I. et C., on s'est mis en chemin à neuf heures moins dix et il faisait encore jour, les rues étaient apaisantes alors qu'en nous murmurait la fin d'une journée bancale. Là, on y arrive, les trottoirs sont déserts, les lampadaires s'éveillent mais le jour demeure, on trouve six sièges pour nous, on les occupe et on part en train de nuit à Lisbonne. Deux heures plus tard, on sort en file indienne, on trouve une table avec cinq chaises et on les occupe à nouveau. Après cinq consommations on décide de retrouver l'air frais pour qu'il nous ramène au bercail. Ensemble, toujours, les uns à côté des autres on rentre chez nous en faisant des détours pour ne pas avoir à quitter le confort que nos pas s'apportent. J'ai la clé dans ma poche, je l'insère, je tourne, tout le monde au chaud et les vélos aussi. Je me mets en culotte avant de dormir, je m'étale sur mon lit pour éclairer ma chambre avant de dormir, je me brosse les dents dans la baignoire avant de dormir, j'entends que H. pianote avant de dormir, je dis au blizzard qu'il peut niquer sa mère avant de dormir. Depuis hier, je porte une boule très discrète à l'oreille droite. Plus de boules quies, plus d'écouteur, plus de boucles, rien que cette petite marque de jours nouveaux dans un corps sans doute un peu plus libre. Alors bonne nuit, et je le pense vraiment quand je dis ça aux gens, je leur souhaite du plus profond de moi, je veux qu'on dorme bien, sans houle sans trouble sans sursauts, non, comme hier et avant-hier j'aimerais que la lune voie le sourire et la reconnaissance que je lui envoie avant de dormir.

22.04.13

La journée d'aujourd'hui me mène à une des ces soirs qui fait soupeser tout le poids des choses, celui des heures passées, des pas à travers la ville, des mots ingérés. Je monte les escaliers, mes livres contre le cœur, et glisse la moitié de mes jambes sous la couette. Je me visse des sons aux oreilles, j'enchaîne les chansons les yeux fermés pour ne pas entendre que de sous mon plancher montent les rires et les chuchotements pour lesquels on troquerait tous des litres de sacrifices. Je ne veux pas être témoin du bonheur des autres, vois-tu, pas ce soir. Je les entends descendre les escaliers sur la pointe des pieds pour se prendre un verre d'eau dans la cuisine et rendre ainsi à leurs bouches la fraîcheur que leurs lèvres se volent. Je veux me replier sur moi-même pour m'emplir de ma propre respiration et me dire qu'on peut s'endormir tout seul, qu'au fond on est tellement de personnes en une seule que l'ennui ne nous touchera pas, pas ce soir.

16.03.13

Après une heure trente, la fille au joli juste-au-corps m'a dit c'est bon tu peux y aller. Je venais seulement de décapsuler ma boisson, j'ai enfilé mon manteau sans lâcher cette petite bouteille d'eau claire et je suis allée m'asseoir sur les bancs, devant l'entrée, dehors dans le souffle du soir, alors qu'au loin les cloches carillonnaient 22h30. Le couple que j'avais passé la soirée à observer en essuyant des verres à vin est sorti peu après. Ça sautait aux yeux qu'elle penchait du côté du restons-en là, je regagnerai bientôt les States, qu'allons-nous faire d'un océan, nous sommes à des stades de vie différents but it was nice, really nice. Il lui a galamment tenu son manteau, s'est assuré de la savoir entre de bonnes mains pour rentrer mais il avait la queue entre les jambes et le bonnet enfoncé bien bas sur les oreilles. C'était le même froid sous mes doigts qui tenaient la bouteille que dans l'eau qu'elle contenait que dans les brèves gorgées que j'avalais. Le contenant, le contenu, moi qui tiens, l'air qui nous entoure, une bulle de froid et de calme, surtout, car le froid est toujours silence. BB le couronnait à merveille comme toutes les minutes de mes instants en ce moment. Tant le ciel était sombre. Bien sûr, ce serait plus facile de mettre la clé sous la porte pour aller en ouvrir de nouvelles. Bien sûr, c'est toujours plus aisé de se planter comme nouvel arrivant plutôt que de trouver sa place parmi les anciens.   

jeudi 28 février 2013




J'ai dit non hier matin, non hier après-midi et non hier soir. J'ai dit non sans l'articuler à personne et surtout pas à moi-même. J'ai dit oui je me lèverai tôt, TSF Jazz fidèle à mon poste, mais non je n'irai pas parler de Said, j'irai encore moins écouter les autres en parler. J'ai dit non, je ne sais pas organiser mes journées, elles sont si belles pourtant quand elles se réveillent à moi et qu'elles me chuchotent que le jour est long, moi sous ma couette, le bilan de Salamanca défile sous mes doigts, des milliers de notes dans les oreilles et une demie maison qui dort encore. J'ai dit non tu sais le temps, son emploi, très peu pour moi, voyez comme j'ai peur sous mon calme, voyez comme il est aisé de se recroqueviller. Je m'enivre de chansons, les tourments des autres sont mon essence car je peux placer les miens entre leurs lignes sans rien dire à personne. Non à personne. Il n'y a que le silence du matin pour me redonner l'insouciance. A 9h34 je finis une pellicule qui dormait dans sa boîte noire, à 9h52 j'enfourche mon vélo pour qu'un monsieur lui ouvre le ventre et me dise revenez mardi, à 10h10 j'oublie presque de récupérer ma lampe chez l'électricien dont la petite boutique remplie d'ampoules me fait ouvrir les yeux, à 10h19 je retire de l'argent et à 10h31 j'entre dans cette salle bleue chauffée par des radiateurs bleus et la moquette bleue me demande: mais où étais-tu tout ce temps? C'est toujours le souvenir de Flaubert qui m'accueille quand j'entre dans cette salle. Et bien, ma jolie, qu'ai-je à répondre? Que je ne sens vraiment mes jambes que lorsque je retrouve les trottoirs à la tombée de la nuit, que je ferme la porte en voulant ouvrir les fenêtres trois fois plus grand, qu'en Espagne la voie était libre alors qu'ici de petites choses l'obstruent facilement. Et tu sais comme il faut du temps pour tout ça, oui je sais que tu sais, alors je cherche ma route sans jamais perdre les clés de la maison, je lève les yeux au plafond même si on sait tous que c'est toujours en les fermant qu'on trouve le plus de réponses.


mercredi 20 février 2013




Je vois, madame, votre hâte, votre allure, votre petite mine que le métro ternit mais la lueur de la rue la rallumera sans effort, vous verrez, en cette saison le froid fait aussi des merveilles. Je vois, monsieur, les pages qui tournent sous vos doigts, l'heure qui tourne sous votre chapeau et rien ne fera dévier la trajectoire qui vous amène à votre destination, n'ayez crainte. Je vois, mademoiselle, comme vous vous cramponnez à votre téléphone, là au creux de vos mains, il repose au cas où, et à vrai dire on fait tous ça. Mais vous ne voyez certainement pas comme je vous trouve jolie, mademoiselle, votre carré de cheveux blonds rassemblés sous un bandeau de laine, vos yeux bleus comme le ciel des matins et vos joues dégagées. La classe française, je la redécouvre à chaque fois que je vois Paris et elle me rassure, si vous saviez à quel point. Un manteau bleu marine, des collants noirs, des derbies et une large écharpe pour envelopper le tout, rien de plus. Et c'est toujours dans ces moments-là que j'ose me regarder dans la vitre, je pose mon regard sur mon reflet qui défile le long des entrailles de la ville et je me dis presque toujours tu as des cernes ma fille, ohlala ces marques sous les yeux qui les empêchent d'exister, tu as le visage rond, un grand front, les cheveux sales, mais bon. Ca va, le chignon est plutôt bien formé aujourd'hui, tu t'es pas trop mal débrouillée, tes habits, ok, ça passe, tout est dans le caractère, des pièces de caractère, ma chère, n'oublie pas. Tu formes un ensemble vaguement cohérent et pour le reste on verra plus tard. Et là, je vois, madame, comme vos bottes étouffent vos mollets, comme vos valises s'empilent pour éviter de dégringoler, comme la colle se décolle sous vos pieds, comme sous vos pieds toujours le sol doit se dérober à chaque minute; ou peut-être qu'au contraire, le sol est devenu l'unique chose qui vous soutient. Non, je ne peux pas voir la rage dans vos yeux car je les évite, vous savez, les yeux des mendiants, ce sont souvent les plus profonds. Mais j'entends. A défaut d'écouter, j'entends comme sous ce ciel de faïence les rouages grincent, les pneumatiques crissent, comme les paradoxes de notre époque explosent et n'en peuvent plus de se côtoyer en refusant de s'admettre. En sourdine s'élève le cri d'une lassitude mutuelle, je la sens au fond de nous mais personne ne l'écoute car on s'efforce à ne pas voir plutôt que de regarder.

Une valse à deux mille treize temps quelques jours durant, 2013, l'année qui me démontre par a plus b, par a plus x y z, que l'hiver est une saison de délice pour peu qu'on ait quatre murs (non, pas trois, quatre), une couette, du thé, des lignes à lire et du parfum contre soi, le sien et celui des autres. A Paris, j'ai fait infuser des thés aux quatre coins de la ville et ma petite valise a raclé les trottoirs, je l'ai étirée le longs d'escaliers larges et étroits, ceux qui mènent au dedans et ceux qui jettent au dehors. Du darjeeling au matin sur le tabouret de C. et de la camomille au creux du canapé d'I. le soir d'après. On m'a offert le côté du lit qui donnait sur la cour et quelqu'un à côté de mes nuits. Les partager, non, pas tout à fait, car vous savez les nuits il faut apprendre à les mettre entre soi et un autre, et là je ne sais pas faire si ce n'est regarder dans les yeux de ce même autre, les fuir quand on parle, les retrouver quand on se tait et y discerner la même appréhension des grands ensembles. Bref, à Paris c'est différent, on se dit bonne nuit mon petit, à demain, dors bien, on sent juste la chaleur d'une présence familière et doucement on s'enfonce de la mousse dans les oreilles. Et le lendemain, on se réveille le bout du nez glacé car les fenêtres ne ferment plus vraiment mais c'est le prix à payer pour occuper quelques parcelles de ce sol sacrécrasseux. C'est ainsi que très élégamment, Boulevard saint martin, mes flocons d'avoine se noyaient dans le fond d'un bol de lait bio sur du Biolay. Sans mauvais jeu de mots, je vous assure que c'est vrai, du Biolay dans mon lait bio, même si le ciel ne pleurait pas, la musique venait des quatre coins du mur comme un trésor et je me suis promis d'avoir ça un jour chez moi car une installation de la sorte dans un salon, ça voulait peut-être dire que la vie ne nous posait plus trop de problèmes. Pendant six jours, j'ai longé les trottoirs, j'ai claqué des portes derrière moi, ''je n'étais vraiment moi-même qu'à l'instant où je m'enfuyais'' comme le dit la page 102 du Café de la jeunesse perdue, je jetais le trousseau dans les fentes de boites aux lettres et regagnais ainsi ma place dans la course folle des talons sur le sol. Alors je ne sais plus très bien qui portait qui dans l'histoire, si je naviguais aisément entre ses rives ou si la ville me faisait boire la tasse. Le mythe de Paris, le mythe de la ville dans sa plus grande excellence, le souffle urbain, le murmure enchanteur, le soupir éreinté, je lui prends la main, il prend la mienne, peu importe, je le perds autant qu'il me colle à la peau. Maintenant il ne s'agira plus que de planter son décor, apprendre à le démonter sans laisser de traces apparentes et saupoudrer le temps de virgules à n'en pas finir, rien que des virgules.