samedi 12 décembre 2015

07.09.15

J'ai les reins à fleur de peau, j'ai passé ma journée sous la climatisation du megabus. J'ai vu la France défiler du Nord au centre sous un ciel dégagé, bleu, blanc, incolore, un ciel qui disait regarde une page blanche, regarde le vert des arbres, les zones industrielles qui annoncent les villes de taille moyenne, le charme des régions dont les terres finissent dans la mer, que le soleil réveille de manière insoupçonnée. En réalité, je refusais de regarder. J'étais parfaitement indifférente à mon retour car mon esprit était resté à Londres, quelque part entre New Cross, Victoria, les draps à carreaux rouges et blanc du petit lit dans le salon et mon étagère à moitié vide dans le frigo.

Refaire défiler cette soirée d'assemblage pour eux et de rassemblement pour moi c'est avant tout entendre les marches vers la cuisine résonner sous les pas de différentes personnes qui montent et descendent, qui vont et viennent, qui s'assoient ou restent immobiles quelques secondes avant de redescendre ou de remonter pour aller chercher ce pourquoi elles s'étaient levées. Ces marches qui mènent au cœur de cette maison enchantée, à la base, au point de rencontre.

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Les jacket potatoes maison de chez S., du thon, du fromage et des baked beans. S. avec qui on parle de fromages français. Trouver les mots pour décrire des fromages n'est pas une mince affaire - nutty which doesn't even mean that it tastes like nut. Ses cigarettes roulées et fumées dans son jardin, nos esprits et nos phrases qui partent dans tous les sens pour se retrouver dans une compréhension mutuelle. Son coloc E. rentre du Vietnam déphasée et lui demande de monter sur ses épaules pour éteindre le bip de la sécurité incendie. Fail. Ils m'expliquent la tendance des White boys with bucket hats, des hommes blancs portant des bobs communément portés par des hommes noirs dans certains clips et ils considèrent ça comme une hipsterisation plus que douteuse. S. me devait £20 depuis le jour du hand-in lorsque le distributeur de billets avait avalé sa carte à trois heures de la deadline. Elle m'a accompagnée jusqu'au self check-out et m'a aidée parce que je ne sais jamais faire. Elle m'a montré une photo de son beau vélo dans son nouvel appartement à Streatham et on s'est quitté devant Sainsbury's, près de Tkmaxx, sous le soleil, là où s'assoit souvent le jeune homme aux boucles blondes qui marmonne Can I have some change please, des yeux bleus qui paraissent de plus en plus grands à mesure que ses joues se creusent et qui dit thank you darling, have a nice evening avec un clin d'oeil quand parfois on lui donne une pièce.


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Ma dernière soirée à Londres passée dans les sacs. Les orange de chez Sainsbury's contenant une variété d'articles qui s'assembleraient en un pique-nique le lendemain. Le sac dont j'ai aspiré l'air pour le faire s'aplatir, mes affaires recroquevillées tel le fromage à fondue de P. dans son emballage: un bloc de plis. Les sacs à fermeture éclair contre un processus de remplissage qui le fut un peu moins. Les ziiip qui montent en crescendo vers les aigus plus on s'approche de l'autre bout. Ma sueur de mouvements dans le vide, de tours sur moi-même, ma sueur de remplissage, ma sueur de vidage, ma sueur de vite, vite, ils sont tous dans la cuisine, vite, finis et rejoins-les car ces moments-là sont tout ce qui compte. Ma sueur comme des larmes qui n'avaient pas le temps de couler par les yeux.

Ils étaient tous dans la cuisine, T. faisait un curry au saumon, P. coupait à côté de la viande qui couvrait toute la surface de la planche. Ils finissent souvent leurs phrases par man, comme une locution automatique établissant un lien qui se confirmera sur la longueur. M. déroulait ses histoires, celles de sa famille, de Berlin, de sa journée, today I'm going to start my life, de ses bijoux qu'elle vendrait gratuitement si elle s'écoutait. Son débit, ses exclamations, sa voix qui monte, ses monologues intérieurs complètement extériorisés, tout ça, ça fait fuir T. dans le jardin puis il revient s'accouder à la porte avec un verre de vin à la main, son regard qui se posait comme extérieur de l'extérieur, droit vers le miroir. Il repartait parfois s'asseoir tout seul dans le noir du jardin, je sors, hello il dit, j'aurais voulu croire qu'il m'attendait mais rien n'est moins sûr, je lui dis qu'on ne s'est pas occupés de la musique. Et je re-rentre parce qu'être debout face à l'ombre et à la voix de quelqu'un qu'on apprécie à ce point sans pouvoir le dire, c'est quasiment ingérable.

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On s'évitait autant, je crois, que l'on se suivait de loin. Je savais où il était, je suivais ce qu'il faisait, je percevais une agitation à laquelle il donnait des allures de concentration. Sa voix dans mon dos, some friends coming over. Qu'ils viennent, tant que tu restes là c'est bon. Il va se cacher dans le jardin, il quitte la cuisine en restant au pied des escaliers, il s'adosse à la porte des toilettes, il revient, il reçoit des messages, il sort pour répondre, il retourne s'asseoir sur les escaliers, ce regard de loin toujours. M., shall we have Gin and tonic? Grand idea. J'ajoute, fidèle à ce moi qui souvent regrette et critique les actions passées, I knew we should have bought more tonic water the other day, we might not have enough. I could quickly go to the shop and get more? Il descend à la cave et ressort avec trois bouteilles d'eau pétillante, me les pose devant le nez. Here. Great, don't we need need something to make it more lemony? Well then just add lemons, we have lemons

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Pour m'extraire de toute cette chaleur humaine quelques secondes, je suis allée essayer des chaussures de M. dans sa chambre. Sur le chemin, T. attend accroupi dehors sur les escaliers de l'entrée, la porte grande ouverte, le regard vers la cuisine dont la porte est ouverte à son tour. Il refermait légèrement la porte vers lui puis la rouvrait en ne laissant dépasser que ses yeux. Un mouvement de vague auquel je répondais en symétrie, suivant ses yeux, souriant vers lui. J'arrive dans la chambre de M., j'essaye avec fierté ses Doc Martens bleu marine, celles qui appartenaient à B. au même âge. Mes pieds y flottent, elles sont lourdes à soulever mais, l'espace de quelques instants, elles m'apportent the necessary grounding.

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La cuisine s'animait d'un rythme, d'un ton, de passages, de partages. La soirée prenait forme sans même l'avoir vu venir. On toqua à la porte, A., S., Z. Avec Z. on se salua d'un câlin timide mais qui avait la force de ceux qui arrivent tout seuls. On parle. Enfin surtout moi, elle, elle sourit, ses yeux verts, sa peau dorée par le soleil de l'été qui se termine, ses jolies dents qui parachèvent cette présence qu'elle a si douce. Elle pose des questions, parfois les mêmes à la suite mais différemment, moi pareil juste pour prolonger l'instant, on survole le départ, Paris, les langues plus fortes que les autres, sa grand-mère française qui, à défaut de la reconnaître, la regarde droit dans les yeux. 

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Du Rhum et de l'eau d'Aloe Vera dans une carafe. Les petits morceaux translucides qui forment la lie de ce breuvage dans le fond. Pour filer la métaphore, je dirais que c'était ça vivre dans cette maison: de l'or transparent, celui qu'on ne voit pas mais qu'on touche du doigt tous les jours.

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On s'est mélangés un peu plus que d'habitude et je sentais que c'était parce que c'était mon dernier soir. J'aime bien quand S., son sourire si franc mais ses yeux timides, dit Charlotte your salad looks good, que je réponds that's very kind of you but I don't think it's that great, qu'A. ajoute it looks ok et qu'on rigole. Et, avant que tout le monde débarque, P. qui commence à parler des filles par rapport aux mecs, ou l'inverse, et qu'il intercepte ce regard d'avertissement que je lui lance à chaque fois qu'il s'aventure sur ce terrain, surtout quand il semble décrire le comportement de femmes qu'il a connues avec un léger ton moqueur voyant là une nouvelle preuve de la difficile compréhension des uns envers les unes. On rigole de ce regard, il dit qu'il n'ose plus rien dire devant moi. Je rigole aussi, forcément, car P. est certes très taquin et insistant, souvent trop direct dans ses propos mais léger, joyeux, jovial. Je dis, je ne sais plus comment, que les hommes pleureraient peut-être s'ils en avaient le droit. T. dans le fond, T. toujours là, mes mots qu'il écoute de loin et mon radar intérieur qui le suit partout où il va.

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Je ne sais pas comment, on s'est retrouvés avec M. et T., tous les trois et je ne les avais jamais vus si proches, comme en perspective l'un de l'autre. P. était là aussi, non c'était S., bref, je ne demandais qu'à être près de T. puisque la proximité physique était la seule manière dont on parvenait à communiquer, comme pour anticiper le vide qui suivrait. Dans le noir, à la lumière de la cuisine à travers ces carreaux, je regarde tout ce que je peux de lui. Il mange mon yaourt, il se recroqueville sur le marches, enveloppé de son manteau, son bonnet chapka sur les oreilles, moi je suis debout dans l'encadrement de la porte du salon – les draps à carreaux dont il avait habillé mon lit de deux nuits. Nous sommes face à face mais aucun n'est vraiment debout, je tremble de l'intérieur de le voir étalé devant moi. 

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P. est le premier à me dire au revoir. Il dit bon, Charlotte et là je fais ah, j'ai compris, attends je me lève pour faire ça bien. Quelques mots de français, tout le meilleur de souhaité, Todo bem et sa main sur mon épaule, un clin d'oeil pour lui car j'ai souvent le sentiment que les mots ne suffisent pas dans ces moments-là, pas même assez pour commencer une phrase ou deux. Oui, je reviendrai, bien sûr que oui. Je le sens bien, je lui dis, la maison, vous quatre, ça va le faire. Il approuve, tu sais moi je suis opti... optimiste. Oui j'ai cru comprendre! Todo bem, répète T. lorsque je me rassois. M. annonce qu'elle va se coucher, T. part ouvrir le frigo et Z. s'approche de moi et c'est comme un aimant. Aux premières heures d'après-minuit, les mots sont plus durs à trouver, on titube tous un peu donc on se serre à nouveau. Il y a du regret bienveillant dans nos regards, des oh, des sourires, une retenue mêlée d'affection, une attention qui montre qu'on aurait pu. Je ne sais pas quoi, on se saura jamais, mais on aurait pu. You add me on facebook and I add you on facebook? Well we need to decide who adds who because if you add me I can't add you anymore. Rires. Le bouquet final: Ses bras sur mes épaules, les miens autour de sa taille, elle me chuchote à l'oreille: Je pense que tu es une fille très cool. Là je marque cette pause qui suit les moments de tendresse déboussolante avant de répondre moi aussi, je pense que tu es une fille très cool

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Je me suis couchée dans les volutes de marijuana qui passaient sous la porte. C'était parfait, ça adoucissait la fin de soirée, ça lui donnait la forme d'un nuage. Ils sont montés dès que j'ai éteint la lumière. Après avoir coincé ce bout de tissu rayé qui fait office de rideau dans la corde de la demie fenêtre. C'est précisément pour cela que j'aime autant cette maison: tout est beau mais rien n'est parfait.

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M. s'est levée to wave me goodbye. Avec elle, les moments de silence – accepter que parfois c'est ok de ne pas parler – sont suivis par des hugs fermes et sincères. Je lui laisse mon sac à dos Ikea family, great so you will HAVE to come visit! J'ai la boule de l'inachevé dans le gorge. Le poids dans le cœur, bien plus présent que celui de la valise au bout de mes bras, c'est l'impression de ne pas avoir dit aux gens à quel point je les apprécie. C'est un condensé de sentiments et compliments inexprimés. J. répond ''inexprimés en mots peut-être mais exprimés en regards et en attitudes, en sourires, exprimés parfois sans qu'on le veuille.'' Ok. Je prends.

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A Victoria, C. me rejoint à 8h55. Elle attend avec moi, elle me regarde transvaser mes affaires d'un sac à l'autre, elle me conseille sans jamais déborder, sans jamais oser l'interférence en continuant ses histoires, ses questions, sa propension pour le factuel qui dans l'instant me rassure. Elle me donne une enveloppe à ouvrir plus tard et me laisse devant mon car en disant see you when I see you.

29.07.15

M. me dit qu'elle aussi elle fait exister des moments dans sa tête pour des siècles entiers. Qu'elle vit, vit et revit des instants qui n'ont duré que 5 minutes, 2 heures, 1 jour pour les six mois à venir et que ça lui suffit pour être heureuse. Que ces moments, those beautiful, simply beautiful moments de tendresse et de mise à nu fonctionnent comme un carburant. Ca, elle me l'a dit après que je lui ai avoué que j'avais tout mis par écrit, pris note de tout ce concentré de charme et de frissons qui m'avait traversée pendant cette semaine de novembre car, à défaut de le voir en vrai, je voulais garder la preuve que cela avait existé en dehors de moi. Je lui ai dit que de rencontrer son frère, cette situation doucement grisante qui s'offrit à moi dans un cadre qui ne l'annonçait en rien, avait totalement changé mon impression de Londres. Du jour au lendemain, la légèreté s'était installée. Elle me dit yes, and it makes you feel alive doesn't it. J'enchaîne avec Is it included in the rent? et nous plaisantons. Je lui ai dit where shall I start? First I'll just blush for a bit, j'ai rigolé, alright do you have an hour? On est monté dans sa chambre, je me suis assise en tailleur sur le parquet jonché de vêtements qu'elle était en train de plier et je me suis adossée contre le mur. Je l'ai prévenue que mon récit serait décousu car les flashes me revenaient petit à petit, elle m'a dit qu'elle aussi elle racontait tous les détails et puis que dans ce cas précis elle tenait à tous les avoir. He just told me he took off your clothes. No he didn't, we both took off our own clothes. Oh he should have.

De chez elle, M. peut voir directement la chambre dans laquelle elle a perdu sa virginité car son premier copain habite dans la maison d'en face. Il s'appellait John, elle l'a rencontré en passant devant chez lui, il passait beaucoup de temps à sa fenêtre et elle distribuait des annonces pour faire du babysitting. Bim bam le papier dans sa boîte aux lettre et le tour était joué. Elle 16 ans, lui 20. 3 ans down the line, elle a l'impression de lui avoir brisé le cœur en partant. Elle lui avait donné un été de sursis car il lui avait demandé. Elle voulait en finir mais ok, elle s'est faite belle pour leur dernière soirée. 

Ensuite elle a rencontré Juan, l'espagnol qu'elle a dépucelé malgré ce qu'il prétendait, qui aujourd'hui refuse de passer par le village où elle habite et qui supplie ses potes de faire un détour quand ils sont en voiture. Ils ont fait l'amour dans toute la maison de vacances – yeah a bit crazy. Were your parents there? No no, thank god. Il est venu la voir à Cardiff, il ne faisait que la suivre partout sans rien regarder d'autre, elle s'est retrouvée à devoir rester au lit, il a passé son temps à la regarder dormir. Plus tard, ils sont retournés à Granada, elle a dû lui avouer des choses désagréables, il pleurait au volant garé au milieu d'une place dans la moiteur des nuits andalouses "M., the dream is over". Elle avait des larmes qui coulaient car il pleurait mais au fond elle réprimait son rire plus que son chagrin et ne trouva rien d'autre à dire que "yes, it's time to wake up". Là c'est moi qui ai éclaté de rire, à 2h00 du matin sur le banc dans le jardin alors qu'elle fumait sa roulée et que mes petits coussins de wheat flottaient dans du lait de soja. It's a holiday fling which should have just stayed a holiday fling. A Juan a succédé Juanito qui, malgré les tentatives de rapprochement dûment mises en place par M., a mis du temps à prendre conscience de ce qui se tramait. Oh he's looking at the moon, well let's look at the moon together then, it's very romantic isn't it? Yeah let's go upstairs where the others are. Finalement elle y est allée franco un peu plus tard dans la soirée. Autour, avant, après, je ne sais plus, un Julian est venu compléter la malédiction des J.

28.05.15

Ce que je vois quand je le regarde c'est son buste, son t-shirt et ses bras par rapport au t-shirt, ses yeux derrière ses pommettes, sa jawline bien marquée, ses quelques boutons qui font rougir ses joues plus facilement, ses cheveux un peu longs depuis qu'il est rentré de voyage et joue au bernard-l'hermite dans cette coquille de maison. Il ne veut pas voir ses amis d'ici tout de suite, il écrit de longs mails à ceux qui sont ailleurs, il n'a pas de portable et se fait joindre sur le fixe tard le soir. Il répond à son pote I don't know man mais qu'un chanteur cubain lui donnera la réponse en tendant le combiné vers les hauts parleurs dont sort la musique à grand volume. Il reprend le téléphone en disant ok, ok, venez, c'est bon et se met aux fourneaux à minuit. Ce mec est une étincelle, il passe sa vie à rebondir.

J'entends toujours le bruit de ses pas qui dévalent les 6 marches jusqu'à la cuisine, ta-dam-ta-dam-ta-dam, ces mêmes marches auxquelles mes coups de serpillère avaient rendu leur couleur avant son grand retour. Au fond, cette journée était autant une arrivée qu'un retour. Ce mercredi 20 mai que j'avais passé à nettoyer la cuisine pour plus tard l'entendre dire it's clean, the stairs are white. Cette journée qui n'en finissait plus d'exister où chaque bruit nouveau me faisait sursauter car il aurait pu s'agir de sa clé dans la serrure. Je me souviens que j'avais fui la maison à 18h pour ne pas être là au moment-clé – pun intended. Je m'étais réfugiée à Goldsmiths avec S. pour voir le film sur le concert de B.B. King à la prison de Sing Sing en 1972 qui m'a mis les larmes aux yeux, qui m'a fait découvrir la chanson I shall be released par Joan Baez et la chaleur de son sourire face au public détenu.

J'avais tiré sur la longueur de la soirée, j'étais restée chez S. le plus possible pour être sûre qu'il serait là quand je rentrerais. Sur le chemin, plutôt que de la hantise, j'avais hâte d'à nouveau ressentir ce que ça faisait d'avoir du réel entre les mains. Le cœur légèrement en apnée, j'ai ouvert la porte et j'ai aperçu ses jambes en bas dans la cuisine. Je me suis lancée dans les escaliers comme on se lance d'un plongeoir dont on n'a plus vraiment peur. J'ai prononcé son nom et ça voulait dire mais te voilà. Puis je me suis avancée vers lui, j'ai reposé un hello de plus près et je l'ai pris dans mes bras quelques toutes petites secondes. It's been a long time il me dit en se précipitant vers la poêle qui attendait d'être lavée, juste le temps pour moi de lui répondre it has, it has en face à face, le reste de la conversation s'effectuant de dos car il semblait qu'il préférait reprendre son poste à la plonge. Mon sourire pour sa gêne discrète. Du ping-pong léger, des réponses furtives à des questions qui souvent ne le sont pas. Le voilà reparti, moi un verre d'eau à la main qui n'assouvit pas la soif que j'ai pour lui, ses histoires et la fugacité de son esprit.

18.03.15

Ce n'est pas l'Angleterre qui pèse, je ne pense pas. Non. L'Angleterre c'est un terrain plus que connu, c'est le territoire des mots, de l'accent, des trottoirs aux larges dalles, du froid jamais glacial. Ca respire le charme même dans le gris. Ce qui est déroutant, parfois, c'est l'étendue de Londres et la non-place que cela implique quand on n'ose, comme moi, la prendre nulle part. C'est la routine que je ne m'approprie résolument pas, c'est la peine que j'ai à marcher, certains jours, pour aller m'asseoir sur les chaises de Goldsmiths. Londres dans mes yeux, c'est trop souvent la ville de la contingence. C'est des possibles vers lesquels je ne me porte pas.

A Oxford ce weekend c'était différent. J'avais Th. qui était aussi ravie que moi de savoir que quelqu'un avait organisé son weekend autour d'elle – elle pour moi, moi pour elle. J'avais le soleil, le vrai de printemps qui rend sa lumière à la matière, en plein dans les yeux et dans le dos, toute la journée, à en oublier mes lunettes chez Tesco pour les y retrouver, miracle, le lendemain. J'avais T. en tenue de course d'aviron, nice to see you Charlotte, qui m'a fait deux hugs à l'arrivée et deux autres en partant. Il était content de me voir. Moi aussi. Pas besoin de beaucoup de mots dans ces cas-là. Il commence ses études de médecine en septembre et quelque chose me dit qu'il sera un de ces médecins qui disent apparemment très peu mais n'en comprennent pas moins. Qui disent, au fond, peut-être juste ce qu'il est utile d'entendre.

Aujourd'hui j'ai passé une bonne partie de la journée avec les larmes à portée de cil, je les sentais sous mes paupières inférieures et, même sous le soleil radieux, il suffisait que je me replace et ressente mes pensées pour que ça menace sérieusement de déborder. Le désir de se liquéfier, de lâcher le panier de supermarché, oui, de fondre en larmes au milieu du Sainsbury's. Je ne voulais plus avancer, je voulais me cacher derrière les panneaux, m'asseoir dans le caniveau pour pleurer, là, sous la resplendissance, la resplendeur (inventons des mots) du soleil et de sa lumière d'une heure de l'après-midi. Puis le cours de C.W., sa décontraction, son ouverture, sa souplesse et son enthousiasme. Il a parlé de son. On a manipulé des enregistreurs, j'ai fait semblant d'être novice tout en me rendant compte qu'on ne m'avait jamais expliqué des rudiments de toutes ces beautés-là.

Il n'y a que nos barrières internes qui ne soient vraiment rigides. Le reste, ça peut toujours se discuter, se livrer, se partager, se déplacer. Je vais retourner à Telegraph Hill Park. Je vais passer du temps à poser des questions simples pour lancer des bouteilles dans des mers d'histoires éventuelles. Dans mon cours, une fille crée une app qui retracerait les missed connections. J'ai ouvert un paquet de 4 scones chez C. qui avait fouetté la crème à la force de ses bras. Avec des petites framboises et un thé Lady Grey, celui que je prends à chaque fois que je vais la voir. 18h35, Love is strange, Peckhamplex. B. et M. croisés sur le chemin c'est une belle surprise, je suis fière de les montrer, je mets quelques mètres à me remettre de la spontanéité de ce plaisir-là, je me dis que j'ai dû rougir mais qu’heureusement il faisait presque nuit. 

Sur le retour, C. grimpe sur le muret d'un jardin pour attraper une petite branche remplie de fleurs blanches au cœur mauve. Je l'ai mise sur ma table de nuit, là, à côté de moi, dans un petit verre de thé à menthe orné de doré – ceux que B. remplit de jus fraîchement pressé le matin et qu'elle laisse pour M. sur le lave-vaisselle. Quand j'entends le bruit de son super robot, il est accompagné du ronron des voix matinales de BBC Radio 4 à travers le plancher. Elle porte son peignoir prune à pois blancs et je me dis que pour moi c'est presque l'heure du réveil mais pas encore tout à fait. Ce sont ces bruits-là, ces repères-là, ces présences-là, qui me manqueront quand ils seront en Espagne. Depuis qu'elle travaille dans cette école à l'autre bout de Londres toute la journée, je parle plus avec M. On rigole de tous les risottos qu'on se fait chacun notre tour, on parle d'Oxford et des inégalités instituées dans le système d'éducation anglais, d'hélicoptères et de crashes d'hélicoptères, du voisin au n°66 – en peignoir à 10h30! ''What's he like" – qui a réceptionné un paquet à mon nom, le paquet contenant la nouvelle tasse Cath Kidston de B. que je tiens à remplacer car mon pot de miel a chuté sur la anse. Et je fais bien car apparemment c'était sa préférée, je dis See, pour affirmer que ouf, c'est bon, je remets les choses à leur place.