J'ai dit non hier matin,
non hier après-midi et non hier soir. J'ai dit non sans l'articuler
à personne et surtout pas à moi-même. J'ai dit oui je me lèverai
tôt, TSF Jazz fidèle à mon poste, mais non je n'irai pas parler de
Said, j'irai encore moins écouter les autres en parler. J'ai dit
non, je ne sais pas organiser mes journées, elles sont si belles
pourtant quand elles se réveillent à moi et qu'elles me chuchotent
que le jour est long, moi sous ma couette, le bilan de Salamanca
défile sous mes doigts, des milliers de notes dans les oreilles et
une demie maison qui dort encore. J'ai dit non tu sais le temps, son
emploi, très peu pour moi, voyez comme j'ai peur sous mon calme,
voyez comme il est aisé de se recroqueviller. Je m'enivre de
chansons, les tourments des autres sont mon essence car je peux
placer les miens entre leurs lignes sans rien dire à personne. Non à
personne. Il n'y a que le silence du matin pour me redonner
l'insouciance. A 9h34 je finis une pellicule qui dormait dans sa
boîte noire, à 9h52 j'enfourche mon vélo pour qu'un monsieur lui
ouvre le ventre et me dise revenez mardi, à 10h10 j'oublie presque
de récupérer ma lampe chez l'électricien dont la petite
boutique remplie d'ampoules me fait ouvrir les yeux, à 10h19 je
retire de l'argent et à 10h31 j'entre dans cette salle bleue
chauffée par des radiateurs bleus et la moquette bleue me demande:
mais où étais-tu tout ce temps? C'est toujours le souvenir de
Flaubert qui m'accueille quand j'entre dans cette salle. Et bien, ma
jolie, qu'ai-je à répondre? Que je ne sens vraiment mes jambes que
lorsque je retrouve les trottoirs à la tombée de la nuit, que je
ferme la porte en voulant ouvrir les fenêtres trois fois plus grand,
qu'en Espagne la voie était libre alors qu'ici de petites choses
l'obstruent facilement. Et tu sais comme il faut du temps pour tout
ça, oui je sais que tu sais, alors je cherche ma route sans jamais
perdre les clés de la maison, je lève les yeux au plafond même si
on sait tous que c'est toujours en les fermant qu'on trouve le plus
de réponses.
jeudi 28 février 2013
mercredi 20 février 2013
Je vois, madame, votre
hâte, votre allure, votre petite mine que le métro ternit mais la
lueur de la rue la rallumera sans effort, vous verrez, en cette
saison le froid fait aussi des merveilles. Je vois, monsieur, les
pages qui tournent sous vos doigts, l'heure qui tourne sous votre
chapeau et rien ne fera dévier la trajectoire qui vous amène à
votre destination, n'ayez crainte. Je vois, mademoiselle, comme vous
vous cramponnez à votre téléphone, là au creux de vos mains, il
repose au cas où, et à vrai dire on fait tous ça. Mais vous ne
voyez certainement pas comme je vous trouve jolie, mademoiselle,
votre carré de cheveux blonds rassemblés sous un bandeau de laine,
vos yeux bleus comme le ciel des matins et vos joues dégagées. La
classe française, je la redécouvre à chaque fois que je vois Paris
et elle me rassure, si vous saviez à quel point. Un manteau bleu
marine, des collants noirs, des derbies et une large écharpe pour
envelopper le tout, rien de plus. Et c'est toujours dans ces
moments-là que j'ose me regarder dans la vitre, je pose mon
regard sur mon reflet qui défile le long des entrailles de la ville
et je me dis presque toujours
tu as des cernes ma fille, ohlala ces marques sous les yeux qui les
empêchent d'exister, tu as le visage rond, un grand front, les
cheveux sales, mais bon. Ca va, le chignon est plutôt bien
formé aujourd'hui, tu t'es pas trop mal débrouillée, tes habits,
ok, ça passe, tout est dans le caractère, des pièces de caractère,
ma chère, n'oublie pas. Tu formes un ensemble vaguement cohérent et
pour le reste on verra plus tard. Et là, je vois, madame, comme vos
bottes étouffent vos mollets, comme vos valises s'empilent pour
éviter de dégringoler, comme la colle se décolle sous vos pieds,
comme sous vos pieds toujours le sol doit se dérober à chaque minute;
ou peut-être qu'au contraire, le sol est devenu l'unique chose qui
vous soutient. Non, je ne peux pas voir la rage dans vos yeux car je
les évite, vous savez, les yeux des mendiants, ce sont souvent les
plus profonds. Mais j'entends. A défaut d'écouter, j'entends comme
sous ce ciel de faïence les rouages grincent, les pneumatiques
crissent, comme les paradoxes de notre époque explosent et n'en
peuvent plus de se côtoyer en refusant de s'admettre. En
sourdine s'élève le cri d'une lassitude mutuelle, je la sens au
fond de nous mais personne ne l'écoute car on s'efforce à ne pas
voir plutôt que de regarder.
Une valse à deux mille
treize temps quelques jours durant, 2013, l'année qui me démontre
par a plus b, par a plus x y z, que l'hiver est une saison de délice
pour peu qu'on ait quatre murs (non, pas trois, quatre), une couette,
du thé, des lignes à lire et du parfum contre soi, le sien et celui
des autres. A Paris, j'ai fait infuser des thés aux quatre coins de
la ville et ma petite valise a raclé les trottoirs, je l'ai étirée
le longs d'escaliers larges et étroits, ceux qui mènent au dedans
et ceux qui jettent au dehors. Du darjeeling au matin sur le tabouret
de C. et de la camomille au creux du canapé d'I. le soir d'après.
On m'a offert le côté du lit qui donnait sur la cour et quelqu'un à côté de mes nuits. Les partager, non, pas tout à
fait, car vous savez les nuits il faut apprendre à les mettre
entre soi et un autre, et là je ne sais pas faire si ce n'est
regarder dans les yeux de ce même autre, les fuir quand on
parle, les retrouver quand on se tait et y discerner la même
appréhension des grands ensembles. Bref, à Paris c'est différent, on se dit bonne nuit mon petit, à demain, dors bien, on
sent juste la chaleur d'une présence familière et doucement on
s'enfonce de la mousse dans les oreilles. Et le lendemain, on se
réveille le bout du nez glacé car les fenêtres ne ferment plus
vraiment mais c'est le prix à payer pour occuper quelques parcelles
de ce sol sacrécrasseux. C'est ainsi que très élégamment,
Boulevard saint martin, mes flocons d'avoine se noyaient dans le fond
d'un bol de lait bio sur du Biolay. Sans mauvais jeu de mots, je vous
assure que c'est vrai, du Biolay dans mon lait bio, même si le ciel
ne pleurait pas, la musique venait des quatre coins du mur comme un
trésor et je me suis promis d'avoir ça un jour chez moi car une
installation de la sorte dans un salon, ça voulait peut-être
dire que la vie ne nous posait plus trop de problèmes. Pendant six
jours, j'ai longé les trottoirs, j'ai claqué des portes derrière
moi, ''je n'étais vraiment moi-même qu'à l'instant où je
m'enfuyais'' comme le dit la page 102 du Café de la jeunesse perdue, je jetais le trousseau dans les fentes de boites aux lettres et
regagnais ainsi ma place dans la course folle des talons sur le sol.
Alors je ne sais plus très bien qui portait qui dans l'histoire, si
je naviguais aisément entre ses rives ou si la ville me faisait
boire la tasse. Le mythe de Paris, le mythe de la
ville dans sa plus grande excellence, le souffle urbain, le murmure
enchanteur, le soupir éreinté, je lui prends la main, il prend la
mienne, peu importe, je le perds autant qu'il me colle à la peau.
Maintenant il ne s'agira plus que de planter son décor, apprendre à
le démonter sans laisser de traces apparentes et saupoudrer le
temps de virgules à n'en pas finir, rien que des virgules.
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