jeudi 28 février 2013




J'ai dit non hier matin, non hier après-midi et non hier soir. J'ai dit non sans l'articuler à personne et surtout pas à moi-même. J'ai dit oui je me lèverai tôt, TSF Jazz fidèle à mon poste, mais non je n'irai pas parler de Said, j'irai encore moins écouter les autres en parler. J'ai dit non, je ne sais pas organiser mes journées, elles sont si belles pourtant quand elles se réveillent à moi et qu'elles me chuchotent que le jour est long, moi sous ma couette, le bilan de Salamanca défile sous mes doigts, des milliers de notes dans les oreilles et une demie maison qui dort encore. J'ai dit non tu sais le temps, son emploi, très peu pour moi, voyez comme j'ai peur sous mon calme, voyez comme il est aisé de se recroqueviller. Je m'enivre de chansons, les tourments des autres sont mon essence car je peux placer les miens entre leurs lignes sans rien dire à personne. Non à personne. Il n'y a que le silence du matin pour me redonner l'insouciance. A 9h34 je finis une pellicule qui dormait dans sa boîte noire, à 9h52 j'enfourche mon vélo pour qu'un monsieur lui ouvre le ventre et me dise revenez mardi, à 10h10 j'oublie presque de récupérer ma lampe chez l'électricien dont la petite boutique remplie d'ampoules me fait ouvrir les yeux, à 10h19 je retire de l'argent et à 10h31 j'entre dans cette salle bleue chauffée par des radiateurs bleus et la moquette bleue me demande: mais où étais-tu tout ce temps? C'est toujours le souvenir de Flaubert qui m'accueille quand j'entre dans cette salle. Et bien, ma jolie, qu'ai-je à répondre? Que je ne sens vraiment mes jambes que lorsque je retrouve les trottoirs à la tombée de la nuit, que je ferme la porte en voulant ouvrir les fenêtres trois fois plus grand, qu'en Espagne la voie était libre alors qu'ici de petites choses l'obstruent facilement. Et tu sais comme il faut du temps pour tout ça, oui je sais que tu sais, alors je cherche ma route sans jamais perdre les clés de la maison, je lève les yeux au plafond même si on sait tous que c'est toujours en les fermant qu'on trouve le plus de réponses.


mercredi 20 février 2013




Je vois, madame, votre hâte, votre allure, votre petite mine que le métro ternit mais la lueur de la rue la rallumera sans effort, vous verrez, en cette saison le froid fait aussi des merveilles. Je vois, monsieur, les pages qui tournent sous vos doigts, l'heure qui tourne sous votre chapeau et rien ne fera dévier la trajectoire qui vous amène à votre destination, n'ayez crainte. Je vois, mademoiselle, comme vous vous cramponnez à votre téléphone, là au creux de vos mains, il repose au cas où, et à vrai dire on fait tous ça. Mais vous ne voyez certainement pas comme je vous trouve jolie, mademoiselle, votre carré de cheveux blonds rassemblés sous un bandeau de laine, vos yeux bleus comme le ciel des matins et vos joues dégagées. La classe française, je la redécouvre à chaque fois que je vois Paris et elle me rassure, si vous saviez à quel point. Un manteau bleu marine, des collants noirs, des derbies et une large écharpe pour envelopper le tout, rien de plus. Et c'est toujours dans ces moments-là que j'ose me regarder dans la vitre, je pose mon regard sur mon reflet qui défile le long des entrailles de la ville et je me dis presque toujours tu as des cernes ma fille, ohlala ces marques sous les yeux qui les empêchent d'exister, tu as le visage rond, un grand front, les cheveux sales, mais bon. Ca va, le chignon est plutôt bien formé aujourd'hui, tu t'es pas trop mal débrouillée, tes habits, ok, ça passe, tout est dans le caractère, des pièces de caractère, ma chère, n'oublie pas. Tu formes un ensemble vaguement cohérent et pour le reste on verra plus tard. Et là, je vois, madame, comme vos bottes étouffent vos mollets, comme vos valises s'empilent pour éviter de dégringoler, comme la colle se décolle sous vos pieds, comme sous vos pieds toujours le sol doit se dérober à chaque minute; ou peut-être qu'au contraire, le sol est devenu l'unique chose qui vous soutient. Non, je ne peux pas voir la rage dans vos yeux car je les évite, vous savez, les yeux des mendiants, ce sont souvent les plus profonds. Mais j'entends. A défaut d'écouter, j'entends comme sous ce ciel de faïence les rouages grincent, les pneumatiques crissent, comme les paradoxes de notre époque explosent et n'en peuvent plus de se côtoyer en refusant de s'admettre. En sourdine s'élève le cri d'une lassitude mutuelle, je la sens au fond de nous mais personne ne l'écoute car on s'efforce à ne pas voir plutôt que de regarder.

Une valse à deux mille treize temps quelques jours durant, 2013, l'année qui me démontre par a plus b, par a plus x y z, que l'hiver est une saison de délice pour peu qu'on ait quatre murs (non, pas trois, quatre), une couette, du thé, des lignes à lire et du parfum contre soi, le sien et celui des autres. A Paris, j'ai fait infuser des thés aux quatre coins de la ville et ma petite valise a raclé les trottoirs, je l'ai étirée le longs d'escaliers larges et étroits, ceux qui mènent au dedans et ceux qui jettent au dehors. Du darjeeling au matin sur le tabouret de C. et de la camomille au creux du canapé d'I. le soir d'après. On m'a offert le côté du lit qui donnait sur la cour et quelqu'un à côté de mes nuits. Les partager, non, pas tout à fait, car vous savez les nuits il faut apprendre à les mettre entre soi et un autre, et là je ne sais pas faire si ce n'est regarder dans les yeux de ce même autre, les fuir quand on parle, les retrouver quand on se tait et y discerner la même appréhension des grands ensembles. Bref, à Paris c'est différent, on se dit bonne nuit mon petit, à demain, dors bien, on sent juste la chaleur d'une présence familière et doucement on s'enfonce de la mousse dans les oreilles. Et le lendemain, on se réveille le bout du nez glacé car les fenêtres ne ferment plus vraiment mais c'est le prix à payer pour occuper quelques parcelles de ce sol sacrécrasseux. C'est ainsi que très élégamment, Boulevard saint martin, mes flocons d'avoine se noyaient dans le fond d'un bol de lait bio sur du Biolay. Sans mauvais jeu de mots, je vous assure que c'est vrai, du Biolay dans mon lait bio, même si le ciel ne pleurait pas, la musique venait des quatre coins du mur comme un trésor et je me suis promis d'avoir ça un jour chez moi car une installation de la sorte dans un salon, ça voulait peut-être dire que la vie ne nous posait plus trop de problèmes. Pendant six jours, j'ai longé les trottoirs, j'ai claqué des portes derrière moi, ''je n'étais vraiment moi-même qu'à l'instant où je m'enfuyais'' comme le dit la page 102 du Café de la jeunesse perdue, je jetais le trousseau dans les fentes de boites aux lettres et regagnais ainsi ma place dans la course folle des talons sur le sol. Alors je ne sais plus très bien qui portait qui dans l'histoire, si je naviguais aisément entre ses rives ou si la ville me faisait boire la tasse. Le mythe de Paris, le mythe de la ville dans sa plus grande excellence, le souffle urbain, le murmure enchanteur, le soupir éreinté, je lui prends la main, il prend la mienne, peu importe, je le perds autant qu'il me colle à la peau. Maintenant il ne s'agira plus que de planter son décor, apprendre à le démonter sans laisser de traces apparentes et saupoudrer le temps de virgules à n'en pas finir, rien que des virgules.