jeudi 11 juillet 2013

11.07.13

Tout a commencé à 7h35 entre Maastricht et cette ville de Visé dont la gare frise l'autoroute. Le train nous fila entre les doigts, le poids de ma valise ne me ralentissait pas plus que ça, le chef de gare a juste jugé bon de siffler quelques secondes avant l'arrivée de 15 passagers. Soit. Ensuite, la voiture blanche m'attendait en warning, je suis montée à l'arrière en enjambant ce que je pouvais, comme si cette banquette avait passé ses nuits à attendre le jour où la route me rendrait la liberté du long way home. Dans le rétroviseur, je croisais souvent les yeux d'une fille inconnue, d'une autre Charlotte qui m'apprit qu'en Belgique les dictées étaient souvent bannies des cours de français et les bras m'en sont presque tombés. Ils finiront où les s à la deuxième personne si on les oublie comme ça sans scrupules? Je frissonne facilement pour ce genre de choses. Le silence s'est installé dans l'habitacle et, comme souvent, je me suis regardée de l'autre côté de la vitre, un appel de ma grand-mère en plein milieu de l'autoroute, mon incapacité à répondre à son ''Alors dis-moi, tu es où là?'', Paris au loin, le compte-à-rebours qui avait été lancé dès mon réveil quelques minutes avant 6h, mon jus de fruits pressé qui se réchauffait à mesure que le soleil tapait, l'odeur du pain de mie des sandwiches qui n'en sont pas des vrais, la tête de la fille devant moi qui tombait d'un côté ou de l'autre et la route qui s'élançait à travers l'appuie-tête. 

Aux abords de la capitale, le périph' nous a prises à la gorge sans attendre et les minutes défilaient nettement plus vite que les kilomètres. Les trains n'attendent pas, c'est bien connu. En deux secondes me voici parachutée dans un rame de métro, puis une autre, et une troisième très imprévue, me voilà le front dégoulinant, les bretelles glissant, les pieds gonflant, les seins secoués et le souffle court sur le pont Charles de Gaulle, 29° au compteur, entre deux gares qui ne m'avaient jamais parues si éloignées. Les sièges des trains corail ont perdu depuis longtemps leur patin, ils collent aux cuisses comme des ventouses. J'ai bien vu, monsieur qui lisait le Nouvel Obs et posa son billet pour Périgueux bien à plat sur la table, votre regard interrogateur face à la rougeur de mon visage, oui oui, vous aussi, jeune bourgeois scrupuleusement moustachu, mais j'ai couru, je me suis extirpée de mon propre corps du mieux que je pouvais, si vous saviez combien de couloirs j'ai avalés et de minutes j'ai comptées, celles qui tournaient et celles que j'aurais voulu rallonger pour tout au monde, avant de pouvoir vous demander, à vous, de me monter ma valise sur la galerie, et à vous, d'échanger de place pour que le paysage s'offre à mes yeux plutôt que de courir après lui et que tout se brouille. 

Pendant quatre heures, j'aurai suivi le fil de cette conversation qui plongeait le compartiment entier dans les dessous des productions du cinéma français. Et bam, la fiction se réduit à la plus pragmatique des réalité faite de chiffres, de budgets, de décors, de locations de décors, de coups de fil foireux, d'imprévus mal gérés, de comédiens antipathiques et d'endurance sur le long terme. Toujours est-il que ces trois passagers étaient là pour tourner un court-métrage à, je l'apprendrais plus tard, presque trois pas de ma maison. Cela veut dire qu'à quelques kilomètres de moi, de cet être qui écrit alors que les fenêtres sont noires, que les lampadaires résistent aux orages et aux grillons, sur Muy Tranquilo de Gramatik, ces jeunes personnes s'affairent sur les routes du Lot pour faire voir le jour à un projet. On s'est suivis jusqu'à la petite gare du terminus, le long du paysage qui apaise de son vert, les vaches limousines, les gares désertes, les noms qui sonnent si bien, les anciennes plaques d'immatriculation sur la plupart des voitures, tout ça, tous ces éléments qui soufflent souvent quelques chose comme tant que nous sommes là, ça ne pourra pas être complètement la fin de l'espoir. Ces personnes-là ne se retourneront pas, pas même pour me sourire en guise d'au revoir, alors que moi je m'étais préparée deux phrases bien ficelées pour finir cet échange en pointillés, pour les revoir peut-être et assister à la naissance de leur film prometteur. Non, pas de regard ni de clin d'œil, cela m'a bien sûr permis d'accuser le manque de spontanéité de tous les français, tous autant qu'ils sont, autant que nous sommes, mais j'ai ouvert la porte de ma maison avec la ferme impression that I should be here and nowhere else.  

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