mardi 2 juin 2015

28.05.15

L. m'a écrit continue, continue jusqu'à ce que tu voies de la verdure et un bassin. Keep walking two blocks until you find a pond and a garden et à Granary Square tu m'appelles. Avant de partir, il faut toujours que je situe l'endroit où je me rends entre les teintes beiges, bleues et vertes que m'offre Google Maps. Avec le décompte du nombre de rues à laisser sur ma droite ou sur ma gauche, parfois même avec l'allure des façades de la rue et enfin avec la distance qui me sépare de ma station à pied, je me mets en route. Souvent je photographie le plan avant de claquer la porte d'entrée pour calquer ma photographie mentale aux vrais contours des environs. Habiter dans une capitale écrasante c'est aussi apprendre à voir chaque déplacement comme un court voyage: bouteille d'eau à ras bord, un gilet au cas où, un livre que je n'ouvre jamais car les trajets sont trop brefs pour permettre un vrai plongeon mais ça rassure, des miettes dans le fond de la poche dont le zip ne zippe plus, des podcasts entamés comme des biscuits qu'on oublie ensuite sur le bord d'un meuble et les lunettes de soleil assurant que les éblouissements restent plaisants.

Avant que C-I. ne reprenne son Eurostar, on avait choisi de passer un moment dans ce café au décor aussi minimaliste que finement étudié dont la carcasse industrielle était mise à nu, les bouteilles d'alcool décoraient les étagères et les verres n'étaient autres que les verres Pyrex des cantines. Pour rire, on avait décidé de pousser la tendance jusqu'au bout en commandant du crabe frit et du tofu. Ce café jouxte une école d'art, les étudiants en sortaient tous avec cette nonchalance légère et apprêtée, certains aimantaient le regard. C'est au cœur de ce quartier en chantier, au milieu des bureaux en hauteur, des halls d'expositions à louer, des fontaines sans bassin, des grues, des casque d'ouvriers et des vitrines de pop up stores que je me retrouvai deux semaines plus tard à chercher de la verdure et un bassin en attendant L.

Je l'ai suivie comme souvent je suis les gens de confiance, elle m'a fait passer dans des préfabriqués qui sentaient le neuf et la sciure, that's our new kitchen, au milieu de laquelle trônait une machine à café dont dépassaient sagement les deux manches. Elle fit un flat white pour un ouvrier collègue qui passait par là, elle fit claquer le porte-filtre contre le tiroir, fouetta le lait et saupoudra la mousse de cacao – l'application de ses gestes contrastait avec le bazar de l'autour – et le monsieur lui dit qu'elle faisait the best coffee on the planet, que c'était merveilleux. Comment pouvait-il l'affirmer sans avoir gouté à tous les cafés de la planète? rétorqua-t-elle. Ensuite je me suis retrouvée au milieu d'une autre cuisine, l'ancienne, presque vide car dépossédée de son évier mais emplie d'une coordination joyeuse, de casseroles qui portaient encore les traces des créations dans tous les coins et de la chaleur du four allumé. Fritata, épinards, feta, caramelised onions et ciabatta bread que l'on trancha là, sous le ciel de King's Cross, alors qu'il était encore tiède et que L. s'émerveillait des trous que la cuisson avait laissés. Charlotte you can do what you want, either help me or read your book, just feel at home. Du thé au gingembre frais avec de la menthe cueillie sous la serre en prenant bien garde de laisser les petites feuilles, the babies, sur les tiges pour qu'elles gardent toute leur energy.

Ils sont partis servir leurs plats aux invités de l'autre côté et comme souvent j'ai préféré rester au sein des lieux que je commençais à découvrir plutôt que de passer à autre chose. Assise sur une chaise de bureau à roulettes, la seule de la cuisine, face aux marmites, aux planches, aux couteaux, je regardais passer les bus rouges par la fenêtre et portais mon regard vers la gare pour me confirmer que, no joke, c'était bien là l'un des cœurs de Londres. BBC Radio 6 Music décida de passer Electricity d'OMD. La bande originale du film Main dans la main, cette chanson postée sur ce blog du coeur qui bat depuis Montréal qu'il y a deux ans je réceptionnai à Salamanca les larmes aux yeux devant ses mots, cette chanson délicieusement 80s qui ranime et donne envie de prendre ses jambes à son cou. L. et les autres revinrent de leur service alors que j'arrosais les plantations avec une fille belge qui m'offrit une cosse de petits pois. On a fini par s'asseoir pour manger quelques restes, on a essayé de s'expliquer le plan du sud-est de Londres à l'aide de gobelets, de branches, de tranches de pains, les gouttes ont commencé à tomber mais on les a ignorées quelques minutes, comme si on avait demandé un sursis pour finir ce qu'on avait à dire, 4 ou 6 pas plus, comme si nous chuchotions à l'univers que nous n'étions pas en sucre.

J'ai rendu à L. son pantalon emprunté la veille parce qu'elle tremblait, j'ai repris mon train pour Nunhead en changeant à London Blackfriars sous les conseils adorables d'un employé, j'ai écouté les voix des marcheuses de Belleville en pestant contre mes écouteurs qui chopent tous les frottements de mon écharpe. Je me suis demandée comment j'arriverais à la maison sans faire pipi dans ma culotte. La maison était plongée dans une fausse pénombre et ça sentait l'encens et l'oignon cuit. J'ai lancé un hello-point-d'interrogation laissé sans réponse. Ce n'est que 10 minutes plus tard que je n’entendis qu'une seule voix en plus de la sienne, une voix qui rigolait bien entendu, une voix féminine. Ceci expliquait donc les guirlandes de lumières et le silence qui ne l'était pas. D'accord. Enfin je pourrai lui parler dans les yeux et me révéler sans examiner chacun des mots que je pose. J'aimerais lui dire qu'il est merveilleux, que c'est un gros lover, qu'il nous fait toutes tomber et que l'idée, oui oui, l'idée seulement, d'un baiser du haut de Telegraph Hill figure dans le top 3 de mes moments de rêve absolu. Le détachement véritable n'est possible qu'en présence de la présence dont on aspire à se détacher. Les choses pourront je l'espère retomber à leur place sans affecter l'affection. Je me libère d'une option, j'en veux d'autres sans les connaître, je ne veux pas trop aller à ce rendez-vous demain, je ne sais pas, mais je vais y aller pour voir tout en me réservant la liberté de me libérer, encore une fois. Il est 2h30, les oiseaux piaillent très légèrement, un yaourt et au lit.