J’entreprends de tout déverser, dans la chaleur de
l’espace associatif, derrière les portes ouvertes sur les 35 degrés extérieurs,
devant les joueurs de cartes qui ne me prêtent pas attention, je ressens qu’il
faut vider. Il ne faut pas tout vider, il faut garder beaucoup. Il faut tout
garder mais il faut tout vider. Se vider sans relecture. Se vider pour
retrouver l’alignement de la seconde de l’instant présent et du vécu. Vider
sans ambition. Vider par l’écrit pour trouver le chemin de l’oral. Je passe ma
vie à faire des listes : des listes de choses à faire qui structurent mes
journées, des listes salvatrices dans l’orientation qu’elles donnent, dans
l’illusion qu’elles offrent d’un but à tout ça, dans leur pouvoir d’anesthésie
bénigne, raisonnée, quotidienne, des listes d’envies, des listes de métiers,
des listes de mots bourrés de sens, des listes que je commence en sachant que
les tirets n’existeront que sur le papier. Parfois j’oublie les s au pluriel et
ça ne choque plus mon œil. J’ai chaud, trop chaud sans doute mais c’est quand
il fait chaud que l’on est ramené à notre sueur et à notre souffle. C’est quand
il fait chaud que le corps ralentit, que le corps en a marre, qu’enfin la
chance nous est donnée de soupirer. J’ai envie d’apprendre l’écriture directe, l’écriture
automatique, l’écriture qui n’est pas complexée de ses verbes être et avoir, des
« il y a », des répétitions et des mots simples. L’écriture qui coule comme un ruisseau, qui
crache comme les égouts, qu’on avale comme un verre d’eau. Un des joueurs de
cartes me dépose une poignée de bonbons-statues, ceux qui sont friables et trop
sucrés, entre la guimauve et la dragée. En guise de bonjour, il m’offre le fond
d’un sachet de sucreries qu’ils partagent tous les jours de la semaine. Depuis mon
arrivée à la ludothèque, j’élaborais un plan pour leur demander de me joindre à
leur jeu. Il m’a fallu une heure, il a fallu que ce monsieur dont les yeux
sourient croise mon regard, m’offre ces bonbons pour que je pose la question.
Ils jouent sur un tapis rouge qu’ils déroulent et déplacent de table en table. L’un
m’a dit « c’est compliqué, il faut calculer ». J’entendis sa réserve,
elle fit écho à la mienne, mais mon corps était déjà sur la chaise face au
distributeur de bonbons, mes mains attendaient les cartes qu’il distribuait, mon
téléphone enregistrait. Le sceptique est resté à côté de moi, jouait à ma
place, posait les cartes en m’expliquant le jeu à mesure que ça avançait. Je n’ai
pas compris mais le pont est en ébauche. Je ne mangerai pas les bonbons mais je
les emporterai. J’aime qu’ils ne calculent pas ma présence. J’aime les mots
français qui ponctuent leurs phrases : asticots, moi ça me dégoute, chauve-souris,
maladie professionnelle, métastases, 700€ par mois, il est plus jeune que moi,
Mitterrand, 1981. J’aime celui qui cherche le balai dès qu’il aperçoit un cafard,
l’autre qui écrase les mites du bout du pied, celui qui n’enlève jamais son
béret. Deux albanais sont entrés pour les Restos du cœur, j’ai essayé en
anglais, ils ont essayé l’allemand et c’est comme ça qu’ils ont compris qu’il
fallait revenir lundi. A midi, je suis allée faire quelques courses chez Biot, payer
pour bien manger devrait tomber sous le sens. Je me sentais hors contexte de ce
lieu tout en sentant le soulagement – le privilège – qu’offre l’achat de
produits sains.
marche à coeur ouvert
mardi 5 septembre 2017
25.07.16 // Vincente, Albacin et le voleur de sac
La sensation que je garde
de cette journée, c'est l'élan avec lequel T. est arrivé derrière
moi en courant, c'est le courant d'air qui a balayé mon flanc quand
il a attrapé le sac que je tenais pour faire mine de me l'arracher
comme un voleur. C'est le mouvement de balancier qu'a fait mon bras
quand il a lâché et ma main qui s'est posée sur son épaule. C'est
l'idée qu'on eut pu me voler mon sac avec les deux sacs à dos que je venais d'acheter et le soulagement
qui suivit quand je le reconnus. Un voleur avec une chemise verte qui
soulignait parfaitement son teint halé, ses cheveux, ses yeux et
tout ce qui chez lui sent la lumière et le rebond. C'est rien, je
marchais paisiblement vers la boutique aux parfums et de derrière il
courut pour me rattraper, voilà, c'est tout mais c'était la
surprise anticipée, les quelques secondes de vide, de choc, de
remise de choc et de joie intense de retrouver T. et S. avant
l'heure. Le plaisir de ne plus être seule, de trouver du familier
dans cette ville qui le devenait.
Si on rembobine les
heures – c'est une journée que l'on peut raconter à rebours tant
elle a la forme d'une mélodie pleine de pavés et de lumière dans
ma tête – à 11h20 je trouve mon bus à Durcal et m'assois devant
pour être au milieu de ce qui fait le voyage, même s'il ne dure que
30 minutes: les mains du chauffeur sur le volant, sa façon de
changer les vitesse, la route, les virages, les discussions des
passagers des deux premiers rangées avec lui, la radio. Je souris à
la dame qui monte, tout dans son allure est propre et disposé pour
la sortie. Ses cheveux gris bouclés, le bleu roi sur ses paupières
légèrement bridées, les fleurs de sa robe, la sac à main qu'elle
tient sur ses genoux. Je ne sais plus si c'est venu d'elle ou de moi
mais nous échangeons quelques mots sur l'heure de départ. Je lui
dis qu'il est 24, qu'elle a eu de la chance, j'oublie comment dire
partir, je n'ai que le mot llegar qui me revient en boucle à
chaque effort de remémoration. Llegar est un mot que j'ai
appris dès mes premières heures d'espagnol avec Madame Cuvillier et
jamais je n'ai peiné à le retrouver: il veut dire arriver.
Souvent je ressens le
besoin de m'asseoir après la première heure d'exploration d'une
ville nouvelle. Le tournis qui vient d'un rythme que l'on ne connaît
pas, de rues potentielles qui s'offrent à nous tous les mètres. Quelque chose dans ce tourbillon délicieux me demandait de prendre
quelques minutes de respiration. J'ai posé ma jupe bleue sur un banc
en pierre, et mon sac en toile étiré par le poids de mon appareil
photo, de plans, d'une bouteille d'eau cabossée, d'une crème
solaire - toutes ces choses que l'on emporte avec soi pour les cas
où. Pour me situer dans le jus de cette grenade, j'ai déplié le
plan de la ville sur mes genoux. Un monsieur, qui je l'apprendrais
plus tard s'appelle Vincente, 78 ans, s'assoit à côté de moi. Un
plan, une invitation à la conversion. Peut-être que ça marche
comme ça.
Il est né à Granada et y a toujours vécu. Il me
donne le nom de sa rue mais je l'oublie aussitôt. Il n'a jamais pris
l'avion. C'est trop tard, il dit en riant qu'il ne le fera plus. Il
me demande où je veux aller – très bonne question, je ne sais
pas. Il pointe l'office de tourisme derrière nous. Je veux aller, je
crois, vers des endroits où ce genre de moments sont possibles. Eres
muy joven, no? Muy joven. 25? Si, exactamente, 25. Il a l'oeil.
L'oeil de situer les autres sur l'échelle de l'âge avec la hauteur
du sien. L'oeil de l'âge sur les âges. Il me donne son prénom, je
lui donne le mien. Il enlève ses lunettes de soleil. Je relève les
miennes. Les yeux visiblement sont importants pour lui. La sincérité
dans sa voix – guapa, muy guapa, j'entends et je prends car
là c'est un vrai cadeau. Il est temps de continuer à marcher, il
dit qu'il ne veut pas me déconcentrer, je ne sais toujours où je
vais mais j'ai trouvé quelque chose de beau donc c'est bon, je peux
repartir. Gracias, buen dia, que vaya bien.
Granada est une ville
touristique où les touristes ne se voient pas. J'ai recherché un
endroit sur le plan où les rues faisaient des arrondis, s'arrêtaient
sans prévenir, se décroisaient pour se retrouver 10 mètres plus
haut. Des rues du quartier Albacin, je retiens les pavés, les
marches parfois, les fenêtres ouvertes offrant des mélodies de
guitare et de chants poussés dans la gorge aux 39° de l'air
extérieur. Mon appareil photo était armé en permanence, je ne le rangeais plus dans son étui et j'étudiais
chaque prise dont la perspective n'était pas élaborée puisque la
ville parlait d'elle-même. Je retiens le café qui se dit coin de
paradis, les fils électriques apparents qui passent entre les
balcons, les belles petites trousses que j'aurais voulu acheter en
les laissant par raison et surtout, surtout, je retiens les murs qui
parlent. Linda la que lee. Stop machismo. Solo solos somos
libres. Carne es asesinato. Bonjour soleil avec
un colibri collé au l de soleil. Tu y yo podemos
cambiar el mundo. J'ai vu les mots où ils étaient écrits et à
chaque fois ils ont rallumé en moi des ampoules et des idées mille
fois parcourues. La lumière, la solitude, être femme et l'amour
comme moteur de changement.
Deux gobelets de limonade
sur la table du café des falafels. Un T. et un S., deux wraps à la
main, leur fatigue souriante. Il reviennent de Séville où ils ont
passé la nuit à chercher de l'air et se disent presque soulagés
par la brise de Granada. Nous sommes à la même table que Meg et moi
une semaine plus tôt. Je commande une limonade pour faire comme eux.
La douceur et le piquant, toujours.
Maintenant on va où?
Sacramonte? I don't know it that well. Peu importe,
j'aimerais juste voir la vue, un endroit avec vue sur la ville. Si
nous allions à l'Alhambra, elle ne serait pas dans la vue. T. a une
place en tête, juste en face de l'Alhambra. Des rues qui montent,
des fontaines, des éclaboussures, des gouttes qu'il me lance du bout
des doigts, des bouteilles vidées de soif, de la crème solaire
étalée soigneusement sous des pots de fleurs. Une fois arrivés à
la place du mirador Nicolas, le reste s'impose: l'Alhambra entourée
de pins surplombant la ville, la ville qui s'étale sans heurts comme
une coulée de lave qui ne brûle pas, la chaleur qui enveloppe ces
milliers de toits d'un voile, le bleu du ciel au dessus et la ligne
des montagnes au loin pour offrir des limites à cette beauté.
Entre deux maisons
colorées de graffitis, près de la placeta du chanteur des Clash,
après une nouvelle fontaine à trois robinets, je me baisse pour
ranger ma bouteille de mon sac et ma jupe se déchire jusqu'à ma
culotte. Je ris, je tourne la fente vers ma cuisse et les rattrape.
There has been a major skirt incident! J'aime bien, je suis
bien, j'aime bien partager ce genre d'infos car ça brise les murs et
ça fait rire. On avance et les murs, les vrais, ne se taisent pas,
ils ne cessent de donner des messages à retenir.
L'attente à l'arrêt de bus. On joue aux cartes assis sur le trottoir, T. parle de ses chaussures en pneumatique péruvien, on aperçoit S. l'amie de B. sans lui dire bonjour, je m'assois dans un chewing gum qui reste collé au tissu de ma jupe déchirée. Oh my god Charlotte, it's all going wrong! Je ris, je me débarrasse du filet dégueulasse tout en ayant l'impression de traîner toute la ville sous mes fesses. Je me sens crasseuse, poisseuse, un peu dévoilée mais heureuse et bien entourée. Dans le bus, je ne salue pas S. et je m'en veux, on se met au fond et je leur explique le besoin de voir la route, de pouvoir voir la route. S. me laisse la place du bout du couloir. Les vibrations du moteur nous masse le dos. On entame enfin les baklava que T. a choisis dans la vitrine du café. On croque une ou deux fois et on se les passe comme on ferait tourner un joint ou un chalumeau. Ils sont un peu secs, T. est déçu, mais celui saupoudré de vert, le plus fin en forme de triangle, rattrape la fadeur sucrée des autres. A l'arrivée, je vois S., elle descend les marches du bus, T. me le fait remarquer, je la rattrape et on se raconte nos journées – elle a fait les soldes avec son frère. Les phrases que je formule s'enchaînent toutes seules mais un peu bizarrement parfois, je le sens bien, ça ne fait rien, on se dit bonne soirée, à bientôt peut-être.
En rentrant, la tension
dans la cuisine. T. avait oublié de prévenir B. que nous
étions en train de rentrer, le dîner n'est pas prêt, les patatas
bravas ont à peine été lancées et le four s'éteint toutes les 5
minutes. M. ne parle plus. T. s'excuse et aide B. là où il
faut. Avec S. on tourne en rond sans savoir quoi faire. M. a
préparé toute l'installation pour voir le film sur la terrasse.
Magnolia. Des histoires éparses, fragmented, qui sont reliées
sans l'être vraiment, au fond, comme le fil de vies partout. Je
regarde la toile autant que les étoiles. Le son est fort, je pense
aux voisins. Tant pis, ce n'est rien de grave, ce n'est que le son
d'un film dans la nuit et personne ne se plaindra. Des patatas bravas
dorées refroidissaient dans mon assiette et ma fourchette les
pique une par une dans le noir. Dans le film, il
se met à pleuvoir des crapauds. Ils s'écrasent contre les
pare-brises, cassent des fenêtres, tombent dans les cheminées. Je
ne me suis pas attachée à l'histoire – trop occupée à me
repasser le film de ma journée – donc je prends les
images telles qu'elles viennent, accueillant le désordre de
l'intrigue comme celui qui nous habite.
Après 3h10 (le film le plus long de la terre), j'ai fait la vaisselle. Je voulais soulager B.sans qu'elle ne le voie venir. Je ne voulais pas qu'elle retrouve ces piles de casseroles et la sauce séchée au fond des plats en se levant. T. m'a secondée en silence jusqu'à ce qu'il me demande ce que j'avais pensé du film. J'ai répondu qu'à partir du moment où j'ai cessé de vouloir le comprendre et de mettre l'histoire dans les cases de la cohérence cinématographique – when I surrendered to it – ça allait mieux. Il était dérangé, piqué, embêté par ce qu'il venait de voir et ne savait pas quoi en faire. Avant de disparaître, il a mis le doigt sur son état: ''I feel mentally vulnerable''. J'ai éteint la lumière en entendant l'eau de sa douche couler.
Après 3h10 (le film le plus long de la terre), j'ai fait la vaisselle. Je voulais soulager B.sans qu'elle ne le voie venir. Je ne voulais pas qu'elle retrouve ces piles de casseroles et la sauce séchée au fond des plats en se levant. T. m'a secondée en silence jusqu'à ce qu'il me demande ce que j'avais pensé du film. J'ai répondu qu'à partir du moment où j'ai cessé de vouloir le comprendre et de mettre l'histoire dans les cases de la cohérence cinématographique – when I surrendered to it – ça allait mieux. Il était dérangé, piqué, embêté par ce qu'il venait de voir et ne savait pas quoi en faire. Avant de disparaître, il a mis le doigt sur son état: ''I feel mentally vulnerable''. J'ai éteint la lumière en entendant l'eau de sa douche couler.
mercredi 16 novembre 2016
22.07.16 // L'attente chez le boucher, Cupid et un pain à la crème
B. nous a coincé la
liste des courses sur la porte d'entrée. Des tomates pour les
salades, des pommes de terre, des pinchitos, des saucisses,
deux beurres con sal, des uvas,
des pêches ou des prunes qui se sont finalement devenues des pêches et des prunes. C'était prévu depuis la veille au soir qu'on
irait faire les courses avec T. pour qu'il me montre upper Pinos.
I'm ready whenever you are, j'entends – ce moment d'attente
qui précède les activités planifiées où il faut que l'un fasse
signe à l'autre.
Sous le soleil de onze
heures midi, nous montons la côte. Je me refroidis le bout des
doigts et le visage à la fontaine. La carnicería jouxte l'église.
La fraîcheur des frigos et des gens qui se sont levés tôt, une
forte odeur d'ail dans les rayons, trois rayons pas plus. Des
cagettes en plastique pleines de fruits et de légumes que je n'ose
pas toucher. Je ne vois pas les sacs en plastique. J'attends - une
attente entendue et satisfaite, une attente qui me permet d'observer
sans compter. T. aussi attend derrière la comptoir où
s'étale la viande fraîche. Nous attendons que quelqu'un nous
interpelle, nous attendons les premiers signes d'impatience qui
monteraient en nous, qui nous pousseraient à nous manifester, qui
viendraient interrompre le rythme de cette fresque animée dans
laquelle nous sommes de simples figurants, des figurants contents.
Ca y est c'est à nous,
T. commande les pinchitos – des morceaux de porc marinés
dans une sauce jaune – et la dame derrière le comptoir nous
indique de nous servir librement, quitte à passer derrière le
comptoir pour trouver des sacs, des raisins, tout ce qu'on voudra
dans cet espace exigu qui ne laisse pas de place à l'embarras du
choix. 22,60€. T. n'a qu'un billet de 20, je lui dis en rigolant
allez que les 2,60 qui restent sont on me.
En redescendant, il veut
prendre tous les sacs because you're a woman. J'insiste
en souriant de tout ce qui passe par sa tête et je porte. Je
fredonne Cupid please hear my cry, lentement et en détachant
le cu- et le -pid, en n'allant souvent pas plus loin que ça. C'est ma
manière à moi d'être là sans faire de phrases. Stop singing
Charlotte. Il me demande si j'ai reconnu le son d'une flèche qui
vole au moment où Sam Cooke chante le refrain. J'écouterai mieux la
prochaine fois. You didn't come to complain about my light last
night. J'allais pour dire qu'on ne peut pas gagner une bataille
avec les mêmes armes deux fois de suite mais je me suis arrêtée
en cours de route.
Nous passons par la boulangerie sans présentoir mais l'odeur ne trompe pas. Un monsieur d'un certain âge se traîne du fond de la cuisine jusqu'au comptoir et sa femme s'affaire à quelque chose qui lui donne l'allure du métier. La lumière du jour qui passe par la porte et la fenêtre suffit à éclairer l'intérieur: de l'ombre, de la fraîcheur et de la poussière partout. T. commande una barra et une pain à la crème pour le chemin. It's shit. Je lui dis de ne pas exagérer et de m'en passer un bout.
Nous passons par la boulangerie sans présentoir mais l'odeur ne trompe pas. Un monsieur d'un certain âge se traîne du fond de la cuisine jusqu'au comptoir et sa femme s'affaire à quelque chose qui lui donne l'allure du métier. La lumière du jour qui passe par la porte et la fenêtre suffit à éclairer l'intérieur: de l'ombre, de la fraîcheur et de la poussière partout. T. commande una barra et une pain à la crème pour le chemin. It's shit. Je lui dis de ne pas exagérer et de m'en passer un bout.
Je porte la baguette, il
se met à la vouloir, me la prend des mains, je résiste, il tire, je
tire, le sac se déchire, deux bouts de plastique me restent dans les
mains: now look what you've done. Des enfants ridicules. Je lui fourre
dans le cou. Nous passons devant le taxi parisien garé devant la
grande maison que se vende. Je regrette de ne pas avoir engagé
la conversion avec les deux hommes qui étaient là. T. me dit d'y
retourner mais je réponds non c'est bon en continuant vers la
maison.
14.07.16 // Le voyage, les fenêtres ouvertes et les yeux fermés
En passant la frontière,
dans ma tête j'entends un Hola Españita. Les aires
d'autoroute sont plus rustiques, les voitures plus chargées. Je me
souviens des autoroutes d'Andalousie sur lesquelles Papa conduisait
la voiture de location pendant ces
vacances que nous avions passées sur la Costa del Sol dans une
maison blanche où il y avait des cucarrachas dans
la douche. Le jour de notre départ, très tôt, nous avions
croisé des minibus remplis jusqu'au toit, des familles qui
rentraient du Maroc qui avaient devant elles des kilomètres infinis
de bitume pointillé, toute
l'Espagne et toute la France, les fenêtres grandes ouvertes
et la radio à plein volume, le conducteur fatigué mais concentré
et les passagers endormis contre les fenêtres. C'est cet air-là que
j'ai retrouvé mais dans le sens des départs. Ce mouvement vers le
sud, ce convoi vers la chaleur dans la chaleur. Après la frontière,
le paysage s'est élargi et les voies ont rétréci. Nous sommes
passés entre des montagnes, en levant les yeux nous voyions des
roches percées et des grands oiseaux qui volaient très haut. Nous
quittions la France et même si j'y laisse toujours un bout de moi,
j'entrevoyais déjà ceux que j'avais laissés sur ces terres-là.
En moi, la bataille
tapait très fort. L’autoroute serpentait et je redoublais d'effort
pour garder l'équilibre interne. A tellement de niveaux, tellement
de niveaux que tout ce que je pouvais faire c'était respirer et
respirer encore. La musique de B. et M. qui allège, qui
remplit le silence fatigué et parfois gêné des voyages en voiture,
ces chansons inconnues mais qui passent tout de suite. Les pochettes
de cd avec des disques qui ont tourné des dizaines de fois mais qui
tourneront encore longtemps. Parfois ils étaient rayés et ça
sautait. Une fois, on attend que ça passe, deux fois, bon ce n'est
peut-être pas si grave, trois fois, aïe, quatre fois, T. demandait
à B. de passer à la prochaine. La
chanson en indu (et non pas en arabe, Charlotte – cette erreur qui
me met mal, mon besoin de l'exprimer, T. qui répond No
one was thinking about it you know. I know but I am. –
cette chanson, donc, qui fait instantanément secouer les épaules,
étendre les bras et rouler les poignets.
Je me laissais porter,
maintenant que plus rien ne dépendait de moi. Je ne connaissais pas le
chemin et découvrais en direct toutes les choses qui avaient été
prévues et discutées depuis quelques semaines. Le voyage n'en
finissait pas mais ce n'était pas grave. On grignotait tout ce
qui traînait, des noix, des mangues séchées, des cacahuètes, des
chips, du chocolat, des choses croquantes (dont certaines déplurent
à M. qui lança toute sa poignée par la fenêtre). Nous
voilà sur une route à deux voies remplie de camions à doubler. Am
I clear? (M.) Yes.
Go. Go now! (B.). Mes
yeux fermés, mes doigts croisés. La boucle d'oreille de M., ses
yeux que je ne peux pas croiser dans le rétroviseur. L'odeur de weed
dès qu'on s'arrêtait. L'impatience d'arriver, mon idée de faire un
jeu. You know the one where you have to think of someone and the
rest has to guess who it is. Oh yes, 20 questions. Victoria
Beckham – Hillary Clinton – Jamie Oliver – Ganesh – Mary Poppins – Franco – Amélie Poulain. La complicité retrouvée. L'arrivée à l'hôtel, T. à qui l'on demande
toujours de s'avancer en premier pour parler. Les deux clés pour les deux chambres. So how should
we do it? Girls and boys? (B.)
On se regarde en souriant avec T. Yes, let's do that
(moi).
Avant
de me coucher, j'écris des mots dans mon carnet pour déverser le
trop-plein de ma propre présence. B. fait ses exercices
Duolinguo avant minuit. Je ressens le besoin de lui dire que si je ne
parle pas beaucoup, si je reste silencieuse, si je parais absente, ce
n'est rien, ce n'est rien contre eux, ce n'est pas un signe de
tristesse ou de mécontentement: c'est juste que, c'est juste que je
pense. Que je pense un peu trop. I tend to overthink things
a little bit. Elle répond des
choses rassurantes, des oh don't worry, I didn't think you
were absent.
Aujourd'hui sera une nouvelle journée d'attentat mais personne encore pour s'en douter.
Aujourd'hui sera une nouvelle journée d'attentat mais personne encore pour s'en douter.
dimanche 27 mars 2016
13.03.16
Ce n'est pas un hasard
Ce n'est pas un hasard que les
espaces, ce week-end, aient eu autant d'importance que les personnes qui les
occupaient. Ce n'est pas un hasard que je me sois retrouvée dans un cortège de
voix scandant des idées qui rimaient
avec la liberté, qui ne faisaient que demander de l'égalité et un retour à la
tolérance dont on est tous capable si on lâche ses peurs. Ce n'est pas un
hasard que j'aie passé la journée à l'air libre, à suivre des pas que je
connaissais et d’autres que je ne connaissais pas les yeux presque fermés dans la
confiance. Ce n'est pas un hasard que je ne me sois pas sentie perdue sans même
connaître le nom des rues et la façon dont elles s'articulent. Ce n'est pas un
hasard qu'à la limite, le seul lieu où je n'entrevoie pas encore ma place, ce
soit en moi. Ce n'est pas un hasard que je croise J. et la pointe bleue de
ses cheveux en train de dérouler des banderoles, qu'un bout de Goldsmiths
s'invite au pied du Kölner Dom un jour de revendication, un jour d'idées radicales,
un jour d'idées qui reviennent aux racines pour mieux les replanter. Ce n'est
pas un hasard que les mots d'Angela Davis ''there isn't a feminism that isn't anti-racist'' soient imprimés sur
un panneau qui nous devança de quelques mètres pendant toute la manif. Ce
n'est pas un hasard que ce soit la deuxième fois dans la semaine que les
actions d'Angela Davis soient présentes dans les détours que je prends quand je
ne suis pas les rails d'un quotidien sans respiration. Ce n'est pas un hasard
que la première fois, c'était lors du Radio Live d'Aurélie Charon où se
rencontraient les voix d'Une Série française et les récits de vie de la France
d'aujourd'hui. Ce n'est pas un hasard que son visage me ramène à Londres, au 28
novembre 2014 et à la conférence en hommage à Stuart Hall, ce vendredi passé dans le
coton qui suit les nuits partagées.
Ce n'est pas un hasard que C. m'emmène manger des fallafels dans un endroit qui dès les premiers instants t'enlève le poids du dehors. Ce n'est pas un hasard que les murs y soient tapissés d'affiches de cinéma et de concerts et que celui que je voie en premier soit Tom Waits. Ce n'est pas un hasard que pour la première fois, je me sois demandée si ce nom suggérait que les personnes le portant attendaient. Ce n'est pas un hasard que j'y trouve une carte postale qui disait you are everything, you are nothing and all in between et que je retrouve cette carte sur le comptoir du club où nous avons dansé plus tard dans la nuit. Ce n'est pas un hasard que j'aie été à ma toute première soirée for women* only et qu'instantanément la lumière y semble moins agressive. Ce n'est pas un hasard que L. ait été invitée sur scène par Sookee, cette personne dont les mots tracent une ligne droite entre sa bouche et les cœurs de celles qui l'écoutent rapper. Ce n'est pas un hasard que le plus grand des frissons nous ait traversées quand elles étaient là toutes les deux, micro à la main, qu'elles se regardaient et que leurs épaules roulaient au même rythme.
Ce n'est pas un hasard que ce weekend confirme l'idée que quand on toque aux portes qui nous parlent au plus profond, ça fonctionne, on commence à suivre une route dont on ne peut plus douter et la confirmation est évidente : ''I have that and I don't need anything else in my life'', selon L., qui reçut sa confirmation sous forme de courrier l'invitant à rejoindre les rangs du programme de Physical Theatre dans le mois. Ce n'est pas un hasard que dès le réveil on parle d'art, de créativité, d'appel, de battements, d'équilibre à trouver pour le bonheur, de peur, de l'art de just doing it, peut-être. Ce n'est pas un hasard qu'elles me posent la question de mon art, my thing, que je balbutie que les mots sont là sans pouvoir les trouver dans le moment, que quand ils sont écrits ils respirent mais qu'il faut les faire respirer au-delà, que pour l'instant j'essaye toujours de les mettre sur les autres, sur d'autres choses et que je me demande ce que ça veut dire et si c'est viable sans revenir à soi à voix haute, si un jour la coïncidence de ces directions sera réelle et se transformera en évidence.
Ce n'est pas un hasard que j'aie porté le même pull tout le weekend, large et moutarde, que je le garde même dans le train du retour, qu'il pue le cendrier froid mais qu'il soit comme une seconde peau. Ce n'est pas un hasard que je ne trouve pas mes mots ni les réponses aux questions du futur mais que je ne sais pas soit acceptée comme une option. Ce n'est pas un hasard que je me trimbale perdue et en bataille, souvent sans même pouvoir parler à la personne qui marche à côté de moi, et que malgré ce silence et mes yeux dans le vague, j'attrape des bras ou l'on attrape le mien. Ce n'est pas un hasard que je serre la jambe de L. sur les marches, que je lui dise qu'hier elle n'a fait que récolter les fruits qu'elle a en elle, les fruits qu'elle a su semer et qu'elle me réponde tu sais toi aussi. Ce n'est pas un hasard qu'elle me propose de venir à Berlin, que je lui réponde plus tard we could be a planet et qu'on rigole de cette absurdité dont on comprend l'idée.
Ce n'est pas un hasard qu'il n'y ait pas eu de grands au revoirs, que C. et V. soient montés dans la voiture jusqu'à la gare juste pour faire le voyage, qu'on écoute Le Vent nous portera, que H. conduise vite, que je sois à la fois nerveuse et rassurée, que tout le monde soit tendu mais qu'on ne se le communique pas, que j'arrive avant mon train que je pensais vraiment rater, que je passe les 20 premières minutes à pleurer des flots d'émotions dans les toilettes du Thalys, que j'appelle H. et C. pour leur dire que c'est bon, je suis bien partie, je suis bien sur mon siège. Trois phrases pour terminer, des phrases qui se tricotent d'elles-même comme des points de suspension qui savent à quoi ils mènent :
Ce n'est pas un hasard que C. m'emmène manger des fallafels dans un endroit qui dès les premiers instants t'enlève le poids du dehors. Ce n'est pas un hasard que les murs y soient tapissés d'affiches de cinéma et de concerts et que celui que je voie en premier soit Tom Waits. Ce n'est pas un hasard que pour la première fois, je me sois demandée si ce nom suggérait que les personnes le portant attendaient. Ce n'est pas un hasard que j'y trouve une carte postale qui disait you are everything, you are nothing and all in between et que je retrouve cette carte sur le comptoir du club où nous avons dansé plus tard dans la nuit. Ce n'est pas un hasard que j'aie été à ma toute première soirée for women* only et qu'instantanément la lumière y semble moins agressive. Ce n'est pas un hasard que L. ait été invitée sur scène par Sookee, cette personne dont les mots tracent une ligne droite entre sa bouche et les cœurs de celles qui l'écoutent rapper. Ce n'est pas un hasard que le plus grand des frissons nous ait traversées quand elles étaient là toutes les deux, micro à la main, qu'elles se regardaient et que leurs épaules roulaient au même rythme.
Ce n'est pas un hasard que ce weekend confirme l'idée que quand on toque aux portes qui nous parlent au plus profond, ça fonctionne, on commence à suivre une route dont on ne peut plus douter et la confirmation est évidente : ''I have that and I don't need anything else in my life'', selon L., qui reçut sa confirmation sous forme de courrier l'invitant à rejoindre les rangs du programme de Physical Theatre dans le mois. Ce n'est pas un hasard que dès le réveil on parle d'art, de créativité, d'appel, de battements, d'équilibre à trouver pour le bonheur, de peur, de l'art de just doing it, peut-être. Ce n'est pas un hasard qu'elles me posent la question de mon art, my thing, que je balbutie que les mots sont là sans pouvoir les trouver dans le moment, que quand ils sont écrits ils respirent mais qu'il faut les faire respirer au-delà, que pour l'instant j'essaye toujours de les mettre sur les autres, sur d'autres choses et que je me demande ce que ça veut dire et si c'est viable sans revenir à soi à voix haute, si un jour la coïncidence de ces directions sera réelle et se transformera en évidence.
Ce n'est pas un hasard que j'aie porté le même pull tout le weekend, large et moutarde, que je le garde même dans le train du retour, qu'il pue le cendrier froid mais qu'il soit comme une seconde peau. Ce n'est pas un hasard que je ne trouve pas mes mots ni les réponses aux questions du futur mais que je ne sais pas soit acceptée comme une option. Ce n'est pas un hasard que je me trimbale perdue et en bataille, souvent sans même pouvoir parler à la personne qui marche à côté de moi, et que malgré ce silence et mes yeux dans le vague, j'attrape des bras ou l'on attrape le mien. Ce n'est pas un hasard que je serre la jambe de L. sur les marches, que je lui dise qu'hier elle n'a fait que récolter les fruits qu'elle a en elle, les fruits qu'elle a su semer et qu'elle me réponde tu sais toi aussi. Ce n'est pas un hasard qu'elle me propose de venir à Berlin, que je lui réponde plus tard we could be a planet et qu'on rigole de cette absurdité dont on comprend l'idée.
Ce n'est pas un hasard qu'il n'y ait pas eu de grands au revoirs, que C. et V. soient montés dans la voiture jusqu'à la gare juste pour faire le voyage, qu'on écoute Le Vent nous portera, que H. conduise vite, que je sois à la fois nerveuse et rassurée, que tout le monde soit tendu mais qu'on ne se le communique pas, que j'arrive avant mon train que je pensais vraiment rater, que je passe les 20 premières minutes à pleurer des flots d'émotions dans les toilettes du Thalys, que j'appelle H. et C. pour leur dire que c'est bon, je suis bien partie, je suis bien sur mon siège. Trois phrases pour terminer, des phrases qui se tricotent d'elles-même comme des points de suspension qui savent à quoi ils mènent :
L'attirance pour l'absolu est une
forme de radicalité.
Space is there to be taken.
By those who know.
samedi 12 décembre 2015
07.09.15
J'ai les reins à fleur
de peau, j'ai passé ma journée sous la climatisation du megabus.
J'ai vu la France défiler du Nord au centre sous un ciel dégagé,
bleu, blanc, incolore, un ciel qui disait regarde une page blanche,
regarde le vert des arbres, les zones industrielles qui
annoncent les villes de taille moyenne, le charme des régions dont
les terres finissent dans la mer, que le soleil réveille de manière
insoupçonnée. En réalité, je refusais de regarder. J'étais
parfaitement indifférente à mon retour car mon esprit était resté
à Londres, quelque part entre New Cross, Victoria, les draps à
carreaux rouges et blanc du petit lit dans le salon et mon étagère
à moitié vide dans le frigo.
Refaire défiler cette
soirée d'assemblage pour eux et de rassemblement pour moi c'est
avant tout entendre les marches vers la cuisine résonner sous les
pas de différentes personnes qui montent et descendent, qui vont et
viennent, qui s'assoient ou restent immobiles quelques secondes avant
de redescendre ou de remonter pour aller chercher ce pourquoi elles s'étaient levées. Ces marches qui mènent au
cœur de cette maison enchantée, à la base, au point de rencontre.
[...]
Les jacket potatoes
maison de chez S., du thon, du fromage et des baked beans. S. avec qui on parle de fromages français. Trouver les mots pour
décrire des fromages n'est pas une mince affaire - nutty which
doesn't even mean that it tastes like nut. Ses cigarettes roulées
et fumées dans son jardin, nos esprits et nos phrases qui partent
dans tous les sens pour se retrouver dans une compréhension
mutuelle. Son coloc E. rentre du Vietnam déphasée et lui demande
de monter sur ses épaules pour éteindre le bip de la sécurité
incendie. Fail. Ils m'expliquent la tendance des White boys with
bucket hats, des hommes blancs
portant des bobs communément portés par des hommes noirs dans certains
clips et ils considèrent ça comme une hipsterisation plus que douteuse. S. me devait £20 depuis le jour du hand-in
lorsque le distributeur de billets avait avalé sa carte à trois
heures de la deadline. Elle m'a accompagnée jusqu'au self check-out
et m'a aidée parce que je ne sais jamais faire. Elle m'a montré une
photo de son beau vélo dans son nouvel appartement à Streatham et
on s'est quitté devant Sainsbury's, près de Tkmaxx, sous le
soleil, là où s'assoit souvent le jeune homme aux boucles blondes
qui marmonne Can I have some change please, des
yeux bleus qui paraissent de plus en plus grands à mesure que ses
joues se creusent et qui dit thank you darling, have a nice
evening avec un clin d'oeil
quand parfois on lui donne une pièce.
[...]
Ma dernière soirée à Londres passée dans les sacs. Les orange de chez Sainsbury's contenant une variété
d'articles qui s'assembleraient en un pique-nique le lendemain. Le
sac dont j'ai aspiré l'air pour le faire s'aplatir, mes affaires
recroquevillées tel le fromage à fondue de P. dans son
emballage: un bloc de plis. Les sacs à fermeture éclair contre un
processus de remplissage qui le fut un peu moins. Les ziiip qui
montent en crescendo vers les aigus plus on s'approche de l'autre
bout. Ma sueur de mouvements dans le vide, de tours sur moi-même, ma
sueur de remplissage, ma sueur de vidage, ma sueur de vite, vite, ils
sont tous dans la cuisine, vite, finis et rejoins-les car ces
moments-là sont tout ce qui compte. Ma sueur comme des larmes qui
n'avaient pas le temps de couler par les yeux.
Ils étaient tous dans la
cuisine, T. faisait un curry au saumon, P. coupait à côté de
la viande qui couvrait toute la surface de la planche. Ils
finissent souvent leurs phrases par man, comme
une locution automatique établissant un lien qui se confirmera sur
la longueur. M. déroulait ses histoires, celles de sa famille, de
Berlin, de sa journée, today I'm going to start my life,
de ses bijoux qu'elle vendrait gratuitement si elle s'écoutait. Son débit, ses
exclamations, sa voix qui monte, ses monologues intérieurs
complètement extériorisés, tout ça, ça fait fuir T. dans le
jardin puis il revient s'accouder à la porte avec un verre de vin à
la main, son regard qui se posait comme extérieur de l'extérieur,
droit vers le miroir. Il repartait parfois s'asseoir tout seul dans
le noir du jardin, je sors, hello il
dit, j'aurais voulu croire qu'il m'attendait mais rien n'est moins sûr,
je lui dis qu'on ne s'est pas occupés de la musique. Et je re-rentre parce qu'être debout face à l'ombre et à la voix
de quelqu'un qu'on apprécie à ce point sans pouvoir le dire, c'est
quasiment ingérable.
[...]
On s'évitait autant, je crois, que l'on se suivait de loin. Je
savais où il était, je suivais ce qu'il faisait, je percevais une
agitation à laquelle il donnait des allures de concentration. Sa
voix dans mon dos, some friends coming over.
Qu'ils
viennent, tant que tu
restes là c'est bon. Il va se cacher dans le jardin, il quitte la
cuisine en restant au pied des escaliers, il s'adosse à la porte des
toilettes, il revient, il reçoit des messages, il sort pour
répondre, il retourne s'asseoir sur les escaliers, ce regard de loin
toujours. M., shall
we have Gin and tonic? Grand idea.
J'ajoute, fidèle à ce moi qui souvent regrette et critique les
actions passées, I knew we should have bought more tonic
water the other day, we might not have enough.
I could quickly go to the shop and get more? Il descend à la cave et ressort avec trois bouteilles
d'eau pétillante, me les pose devant le nez. Here.
Great, don't
we need need something to make it more lemony? Well then just add
lemons, we have lemons.
[...]
Pour m'extraire de toute cette chaleur humaine quelques secondes, je suis allée essayer des chaussures de M. dans sa chambre. Sur le chemin, T. attend accroupi dehors sur les escaliers de l'entrée, la porte grande ouverte, le regard vers la cuisine dont la porte est ouverte à son tour. Il refermait légèrement la porte vers lui puis la rouvrait en ne laissant dépasser que ses yeux. Un mouvement de vague auquel je répondais en symétrie, suivant ses yeux, souriant vers lui. J'arrive dans la chambre de M., j'essaye avec fierté ses Doc Martens bleu marine, celles qui appartenaient à B. au même âge. Mes pieds y flottent, elles sont lourdes à soulever mais, l'espace de quelques instants, elles m'apportent the necessary grounding.
[...]
Pour m'extraire de toute cette chaleur humaine quelques secondes, je suis allée essayer des chaussures de M. dans sa chambre. Sur le chemin, T. attend accroupi dehors sur les escaliers de l'entrée, la porte grande ouverte, le regard vers la cuisine dont la porte est ouverte à son tour. Il refermait légèrement la porte vers lui puis la rouvrait en ne laissant dépasser que ses yeux. Un mouvement de vague auquel je répondais en symétrie, suivant ses yeux, souriant vers lui. J'arrive dans la chambre de M., j'essaye avec fierté ses Doc Martens bleu marine, celles qui appartenaient à B. au même âge. Mes pieds y flottent, elles sont lourdes à soulever mais, l'espace de quelques instants, elles m'apportent the necessary grounding.
[...]
La cuisine s'animait d'un rythme, d'un ton, de passages,
de partages. La soirée prenait forme sans même l'avoir vu venir. On
toqua à la porte, A., S., Z. Avec Z. on se salua d'un
câlin timide mais qui avait la force de ceux qui arrivent tout seuls. On
parle. Enfin surtout moi, elle, elle sourit, ses yeux verts, sa peau
dorée par le soleil de l'été qui se termine, ses jolies dents qui
parachèvent cette présence qu'elle a si douce. Elle pose des
questions, parfois les mêmes à la suite mais différemment, moi
pareil juste pour prolonger l'instant, on survole le départ, Paris, les
langues plus fortes que les autres, sa grand-mère française qui, à
défaut de la reconnaître, la regarde droit dans les yeux.
[...]
Du Rhum et de l'eau d'Aloe Vera dans une carafe. Les petits morceaux translucides qui forment la lie de ce
breuvage dans le fond. Pour filer la métaphore, je dirais que
c'était ça vivre dans cette maison: de l'or transparent, celui
qu'on ne voit pas mais qu'on touche du doigt tous les jours.
[...]
On s'est mélangés un
peu plus que d'habitude et je sentais que c'était parce que c'était
mon dernier soir. J'aime bien quand S., son sourire si franc
mais ses yeux timides, dit Charlotte your salad looks good,
que je réponds that's very kind of you but I don't think it's
that great, qu'A. ajoute it looks ok et qu'on
rigole. Et, avant que tout le monde débarque, P. qui commence à
parler des filles par rapport aux mecs, ou l'inverse, et qu'il
intercepte ce regard d'avertissement que je lui lance à chaque fois
qu'il s'aventure sur ce terrain, surtout quand il semble décrire le
comportement de femmes qu'il a connues avec un léger ton moqueur
voyant là une nouvelle preuve de la difficile compréhension des uns
envers les unes. On rigole de ce regard, il dit qu'il n'ose plus rien
dire devant moi. Je rigole aussi, forcément, car P. est certes
très taquin et insistant, souvent trop direct dans ses propos mais
léger, joyeux, jovial. Je dis, je ne sais plus
comment, que les hommes pleureraient peut-être s'ils en avaient le
droit. T. dans le fond, T. toujours là, mes mots qu'il écoute de
loin et mon radar intérieur qui le suit partout où il va.
[...]
Je ne sais pas comment,
on s'est retrouvés avec M. et T., tous les trois et je ne les
avais jamais vus si proches, comme en perspective
l'un de l'autre. P. était là aussi, non c'était S.,
bref, je ne demandais qu'à être près de T. puisque la proximité
physique était la seule manière dont on parvenait à communiquer,
comme pour anticiper le vide qui suivrait. Dans le noir, à la lumière de la cuisine à travers ces
carreaux, je regarde tout ce que je peux de lui. Il mange mon
yaourt, il se recroqueville sur le marches, enveloppé de son
manteau, son bonnet chapka sur les oreilles, moi je suis debout dans
l'encadrement de la porte du salon – les draps à carreaux dont il
avait habillé mon lit de deux nuits. Nous sommes face à face
mais aucun n'est vraiment debout, je tremble de l'intérieur de le
voir étalé devant moi.
[...]
P. est le premier à me dire au revoir.
Il dit bon, Charlotte et là je fais ah, j'ai compris, attends je me
lève pour faire ça bien. Quelques mots de français, tout le
meilleur de souhaité, Todo bem
et sa main sur mon épaule, un clin d'oeil pour lui car j'ai souvent
le sentiment que les mots ne suffisent pas dans ces moments-là, pas
même assez pour commencer une phrase ou deux. Oui, je reviendrai,
bien sûr que oui. Je le sens bien,
je lui dis, la maison, vous quatre, ça va le faire.
Il approuve, tu sais moi je suis opti... optimiste.
Oui j'ai cru comprendre!
Todo bem, répète T.
lorsque je me rassois. M. annonce qu'elle va se coucher, T. part
ouvrir le frigo et Z. s'approche de moi et c'est comme un aimant.
Aux premières heures d'après-minuit, les mots sont plus durs à
trouver, on titube tous un peu donc on se serre à nouveau. Il y a du
regret bienveillant dans nos regards, des oh, des sourires, une
retenue mêlée d'affection, une attention qui montre qu'on aurait
pu. Je ne sais pas quoi, on se saura jamais, mais on aurait pu. You
add me on facebook and I add you on facebook? Well we need to decide
who adds who because if you add me I can't add you anymore.
Rires. Le bouquet final: Ses bras sur mes épaules, les miens autour
de sa taille, elle me chuchote à l'oreille: Je pense que
tu es une fille très cool. Là
je marque cette pause qui suit les moments de tendresse déboussolante
avant de répondre moi aussi, je pense que tu es une fille
très cool.
[...]
Je me suis couchée dans les volutes de
marijuana qui passaient sous la porte. C'était parfait, ça
adoucissait la fin de soirée, ça lui donnait la forme d'un nuage.
Ils sont montés dès que j'ai éteint la lumière. Après avoir
coincé ce bout de tissu rayé qui fait office de rideau dans la
corde de la demie fenêtre. C'est précisément pour cela que j'aime
autant cette maison: tout est beau mais rien n'est parfait.
[...]
M. s'est levée to wave
me goodbye. Avec elle, les moments de silence – accepter que
parfois c'est ok de ne pas parler – sont suivis par des hugs
fermes et sincères. Je lui laisse mon sac à dos Ikea family, great
so you will HAVE to come visit! J'ai la boule
de l'inachevé dans le gorge. Le poids dans le cœur, bien plus
présent que celui de la valise au bout de mes bras, c'est
l'impression de ne pas avoir dit aux gens à quel point je les
apprécie. C'est un condensé de sentiments et compliments
inexprimés. J. répond ''inexprimés en mots
peut-être mais exprimés en regards et en attitudes, en sourires,
exprimés parfois sans qu'on le veuille.'' Ok. Je prends.
[...]
A
Victoria, C. me rejoint à 8h55. Elle attend avec moi, elle me
regarde transvaser mes affaires d'un sac à l'autre, elle me
conseille sans jamais déborder, sans jamais oser l'interférence en
continuant ses histoires, ses questions, sa propension pour le
factuel qui dans l'instant me rassure. Elle me donne une enveloppe à
ouvrir plus tard et me laisse devant mon car en disant see
you when I see you.
29.07.15
M. me dit qu'elle aussi
elle fait exister des moments dans sa tête pour des siècles
entiers. Qu'elle vit, vit et revit des instants qui n'ont duré que 5
minutes, 2 heures, 1 jour pour les six mois à venir et que ça lui
suffit pour être heureuse. Que ces moments, those beautiful, simply
beautiful moments de tendresse et de mise à nu fonctionnent
comme un carburant. Ca, elle me l'a dit après que je lui ai avoué
que j'avais tout mis par écrit, pris note de tout ce concentré de
charme et de frissons qui m'avait traversée pendant cette semaine de
novembre car, à défaut de le voir en vrai, je voulais garder la
preuve que cela avait existé en dehors de moi. Je lui ai dit que de
rencontrer son frère, cette situation doucement grisante qui
s'offrit à moi dans un cadre qui ne l'annonçait en rien, avait
totalement changé mon impression de Londres. Du jour au lendemain,
la légèreté s'était installée. Elle me dit yes, and it makes
you feel alive doesn't it. J'enchaîne avec Is it included in
the rent? et nous plaisantons. Je lui ai dit where shall I start? First I'll just blush for a bit, j'ai
rigolé, alright do you have an hour? On est monté dans sa
chambre, je me suis assise en tailleur sur le parquet jonché de
vêtements qu'elle était en train de plier et je me suis adossée
contre le mur. Je l'ai prévenue
que mon récit serait décousu car les flashes me revenaient petit à
petit, elle m'a dit qu'elle aussi elle racontait tous les détails et
puis que dans ce cas précis elle tenait à tous les avoir. He
just told me he took off your clothes. No he didn't, we both took off
our own clothes. Oh he should have.
De chez elle, M. peut
voir directement la chambre dans laquelle elle a perdu sa virginité
car son premier copain habite dans la maison d'en face. Il s'appellait John, elle l'a rencontré en passant devant chez lui, il passait
beaucoup de temps à sa fenêtre et elle distribuait des annonces
pour faire du babysitting. Bim bam le papier dans sa boîte aux
lettre et le tour était joué. Elle 16 ans, lui 20. 3 ans down
the line, elle a l'impression de lui avoir brisé le cœur en
partant. Elle lui avait donné un été de sursis car il lui avait
demandé. Elle voulait en finir mais ok, elle s'est faite belle pour
leur dernière soirée.
Ensuite elle a rencontré
Juan, l'espagnol qu'elle a dépucelé malgré ce qu'il prétendait, qui aujourd'hui refuse de passer par le village où elle
habite et qui supplie ses potes de faire un détour quand ils sont en
voiture. Ils ont fait l'amour dans toute la maison de vacances –
yeah a bit crazy. Were your
parents there? No no, thank god. Il
est venu la voir à Cardiff, il ne faisait que la suivre partout sans
rien regarder d'autre, elle s'est retrouvée à devoir rester au lit,
il a passé son temps à la regarder dormir. Plus tard, ils sont
retournés à Granada, elle a dû lui avouer des choses désagréables, il pleurait au volant garé au milieu d'une place
dans la moiteur des nuits andalouses "M., the dream is over".
Elle avait des larmes qui coulaient car il pleurait mais au fond elle
réprimait son rire plus que son chagrin et ne trouva rien d'autre à
dire que "yes, it's time to wake up". Là c'est moi qui ai
éclaté de rire, à 2h00 du matin sur le banc dans le jardin alors
qu'elle fumait sa roulée et que mes petits coussins de wheat
flottaient dans du lait de soja. It's a holiday fling which should
have just stayed a holiday fling. A Juan a
succédé Juanito qui, malgré les tentatives de rapprochement dûment
mises en place par M., a mis du temps à prendre conscience de ce
qui se tramait. Oh he's looking at the moon, well let's look at
the moon together then, it's very romantic isn't it? Yeah let's go
upstairs where the others are. Finalement elle y est allée
franco un peu plus tard dans la soirée. Autour, avant, après, je ne
sais plus, un Julian est venu compléter la malédiction des J.
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