mercredi 16 novembre 2016

14.07.16 // Le voyage, les fenêtres ouvertes et les yeux fermés

En passant la frontière, dans ma tête j'entends un Hola Españita. Les aires d'autoroute sont plus rustiques, les voitures plus chargées. Je me souviens des autoroutes d'Andalousie sur lesquelles Papa conduisait la voiture de location pendant ces vacances que nous avions passées sur la Costa del Sol dans une maison blanche où il y avait des cucarrachas dans la douche. Le jour de notre départ, très tôt, nous avions croisé des minibus remplis jusqu'au toit, des familles qui rentraient du Maroc qui avaient devant elles des kilomètres infinis de bitume pointillé, toute l'Espagne et toute la France, les fenêtres grandes ouvertes et la radio à plein volume, le conducteur fatigué mais concentré et les passagers endormis contre les fenêtres. C'est cet air-là que j'ai retrouvé mais dans le sens des départs. Ce mouvement vers le sud, ce convoi vers la chaleur dans la chaleur. Après la frontière, le paysage s'est élargi et les voies ont rétréci. Nous sommes passés entre des montagnes, en levant les yeux nous voyions des roches percées et des grands oiseaux qui volaient très haut. Nous quittions la France et même si j'y laisse toujours un bout de moi, j'entrevoyais déjà ceux que j'avais laissés sur ces terres-là.

En moi, la bataille tapait très fort. L’autoroute serpentait et je redoublais d'effort pour garder l'équilibre interne. A tellement de niveaux, tellement de niveaux que tout ce que je pouvais faire c'était respirer et respirer encore. La musique de B. et M. qui allège, qui remplit le silence fatigué et parfois gêné des voyages en voiture, ces chansons inconnues mais qui passent tout de suite. Les pochettes de cd avec des disques qui ont tourné des dizaines de fois mais qui tourneront encore longtemps. Parfois ils étaient rayés et ça sautait. Une fois, on attend que ça passe, deux fois, bon ce n'est peut-être pas si grave, trois fois, aïe, quatre fois, T. demandait à B. de passer à la prochaine. La chanson en indu (et non pas en arabe, Charlotte – cette erreur qui me met mal, mon besoin de l'exprimer, T. qui répond No one was thinking about it you know. I know but I am. – cette chanson, donc, qui fait instantanément secouer les épaules, étendre les bras et rouler les poignets. 

Je me laissais porter, maintenant que plus rien ne dépendait de moi. Je ne connaissais pas le chemin et découvrais en direct toutes les choses qui avaient été prévues et discutées depuis quelques semaines. Le voyage n'en finissait pas mais ce n'était pas grave. On grignotait tout ce qui traînait, des noix, des mangues séchées, des cacahuètes, des chips, du chocolat, des choses croquantes (dont certaines déplurent à M. qui lança toute sa poignée par la fenêtre). Nous voilà sur une route à deux voies remplie de camions à doubler. Am I clear? (M.) Yes. Go. Go now! (B.). Mes yeux fermés, mes doigts croisés. La boucle d'oreille de M., ses yeux que je ne peux pas croiser dans le rétroviseur. L'odeur de weed dès qu'on s'arrêtait. L'impatience d'arriver, mon idée de faire un jeu. You know the one where you have to think of someone and the rest has to guess who it is. Oh yes, 20 questions. Victoria Beckham – Hillary Clinton – Jamie Oliver – Ganesh – Mary Poppins – Franco – Amélie Poulain. La complicité retrouvée. L'arrivée à l'hôtel, T. à qui l'on demande toujours de s'avancer en premier pour parler. Les deux clés pour les deux chambres. So how should we do it? Girls and boys? (B.) On se regarde en souriant avec T. Yes, let's do that (moi).

Avant de me coucher, j'écris des mots dans mon carnet pour déverser le trop-plein de ma propre présence. B. fait ses exercices Duolinguo avant minuit. Je ressens le besoin de lui dire que si je ne parle pas beaucoup, si je reste silencieuse, si je parais absente, ce n'est rien, ce n'est rien contre eux, ce n'est pas un signe de tristesse ou de mécontentement: c'est juste que, c'est juste que je pense. Que je pense un peu trop. I tend to overthink things a little bit. Elle répond des choses rassurantes, des oh don't worry, I didn't think you were absent.

Aujourd'hui sera une nouvelle journée d'attentat mais personne encore pour s'en douter.  


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