En passant la frontière,
dans ma tête j'entends un Hola Españita. Les aires
d'autoroute sont plus rustiques, les voitures plus chargées. Je me
souviens des autoroutes d'Andalousie sur lesquelles Papa conduisait
la voiture de location pendant ces
vacances que nous avions passées sur la Costa del Sol dans une
maison blanche où il y avait des cucarrachas dans
la douche. Le jour de notre départ, très tôt, nous avions
croisé des minibus remplis jusqu'au toit, des familles qui
rentraient du Maroc qui avaient devant elles des kilomètres infinis
de bitume pointillé, toute
l'Espagne et toute la France, les fenêtres grandes ouvertes
et la radio à plein volume, le conducteur fatigué mais concentré
et les passagers endormis contre les fenêtres. C'est cet air-là que
j'ai retrouvé mais dans le sens des départs. Ce mouvement vers le
sud, ce convoi vers la chaleur dans la chaleur. Après la frontière,
le paysage s'est élargi et les voies ont rétréci. Nous sommes
passés entre des montagnes, en levant les yeux nous voyions des
roches percées et des grands oiseaux qui volaient très haut. Nous
quittions la France et même si j'y laisse toujours un bout de moi,
j'entrevoyais déjà ceux que j'avais laissés sur ces terres-là.
En moi, la bataille
tapait très fort. L’autoroute serpentait et je redoublais d'effort
pour garder l'équilibre interne. A tellement de niveaux, tellement
de niveaux que tout ce que je pouvais faire c'était respirer et
respirer encore. La musique de B. et M. qui allège, qui
remplit le silence fatigué et parfois gêné des voyages en voiture,
ces chansons inconnues mais qui passent tout de suite. Les pochettes
de cd avec des disques qui ont tourné des dizaines de fois mais qui
tourneront encore longtemps. Parfois ils étaient rayés et ça
sautait. Une fois, on attend que ça passe, deux fois, bon ce n'est
peut-être pas si grave, trois fois, aïe, quatre fois, T. demandait
à B. de passer à la prochaine. La
chanson en indu (et non pas en arabe, Charlotte – cette erreur qui
me met mal, mon besoin de l'exprimer, T. qui répond No
one was thinking about it you know. I know but I am. –
cette chanson, donc, qui fait instantanément secouer les épaules,
étendre les bras et rouler les poignets.
Je me laissais porter,
maintenant que plus rien ne dépendait de moi. Je ne connaissais pas le
chemin et découvrais en direct toutes les choses qui avaient été
prévues et discutées depuis quelques semaines. Le voyage n'en
finissait pas mais ce n'était pas grave. On grignotait tout ce
qui traînait, des noix, des mangues séchées, des cacahuètes, des
chips, du chocolat, des choses croquantes (dont certaines déplurent
à M. qui lança toute sa poignée par la fenêtre). Nous
voilà sur une route à deux voies remplie de camions à doubler. Am
I clear? (M.) Yes.
Go. Go now! (B.). Mes
yeux fermés, mes doigts croisés. La boucle d'oreille de M., ses
yeux que je ne peux pas croiser dans le rétroviseur. L'odeur de weed
dès qu'on s'arrêtait. L'impatience d'arriver, mon idée de faire un
jeu. You know the one where you have to think of someone and the
rest has to guess who it is. Oh yes, 20 questions. Victoria
Beckham – Hillary Clinton – Jamie Oliver – Ganesh – Mary Poppins – Franco – Amélie Poulain. La complicité retrouvée. L'arrivée à l'hôtel, T. à qui l'on demande
toujours de s'avancer en premier pour parler. Les deux clés pour les deux chambres. So how should
we do it? Girls and boys? (B.)
On se regarde en souriant avec T. Yes, let's do that
(moi).
Avant
de me coucher, j'écris des mots dans mon carnet pour déverser le
trop-plein de ma propre présence. B. fait ses exercices
Duolinguo avant minuit. Je ressens le besoin de lui dire que si je ne
parle pas beaucoup, si je reste silencieuse, si je parais absente, ce
n'est rien, ce n'est rien contre eux, ce n'est pas un signe de
tristesse ou de mécontentement: c'est juste que, c'est juste que je
pense. Que je pense un peu trop. I tend to overthink things
a little bit. Elle répond des
choses rassurantes, des oh don't worry, I didn't think you
were absent.
Aujourd'hui sera une nouvelle journée d'attentat mais personne encore pour s'en douter.
Aujourd'hui sera une nouvelle journée d'attentat mais personne encore pour s'en douter.
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