dimanche 27 mars 2016

13.03.16

Ce n'est pas un hasard

Ce n'est pas un hasard que les espaces, ce week-end, aient eu autant d'importance que les personnes qui les occupaient. Ce n'est pas un hasard que je me sois retrouvée dans un cortège de voix scandant  des idées qui rimaient avec la liberté, qui ne faisaient que demander de l'égalité et un retour à la tolérance dont on est tous capable si on lâche ses peurs. Ce n'est pas un hasard que j'aie passé la journée à l'air libre, à suivre des pas que je connaissais et d’autres que je ne connaissais pas les yeux presque fermés dans la confiance. Ce n'est pas un hasard que je ne me sois pas sentie perdue sans même connaître le nom des rues et la façon dont elles s'articulent. Ce n'est pas un hasard qu'à la limite, le seul lieu où je n'entrevoie pas encore ma place, ce soit en moi. Ce n'est pas un hasard que je croise J. et la pointe bleue de ses cheveux en train de dérouler des banderoles, qu'un bout de Goldsmiths s'invite au pied du Kölner Dom un jour de revendication, un jour d'idées radicales, un jour d'idées qui reviennent aux racines pour mieux les replanter. Ce n'est pas un hasard que les mots d'Angela Davis ''there isn't a feminism  that isn't anti-racist'' soient imprimés sur un panneau qui nous devança de quelques mètres pendant toute la manif. Ce n'est pas un hasard que ce soit la deuxième fois dans la semaine que les actions d'Angela Davis soient présentes dans les détours que je prends quand je ne suis pas les rails d'un quotidien sans respiration. Ce n'est pas un hasard que la première fois, c'était lors du Radio Live d'Aurélie Charon où se rencontraient les voix d'Une Série française et les récits de vie de la France d'aujourd'hui. Ce n'est pas un hasard que son visage me ramène à Londres, au 28 novembre 2014 et à la conférence en hommage à Stuart Hall, ce vendredi passé dans le coton qui suit les nuits partagées. 

Ce n'est pas un hasard que C. m'emmène manger des fallafels dans un endroit qui dès les premiers instants t'enlève le poids du dehors. Ce n'est pas un hasard que les murs y soient tapissés d'affiches de cinéma et de concerts et que celui que je voie en premier soit Tom Waits. Ce n'est pas un hasard que pour la première fois, je me sois demandée si ce nom suggérait que les personnes le portant attendaient. Ce n'est pas un hasard que j'y trouve une carte postale qui disait you are everything, you are nothing and all in between et que je retrouve cette carte sur le comptoir du club où nous avons dansé plus tard dans la nuit. Ce n'est pas un hasard que j'aie été à ma toute première soirée for women* only et qu'instantanément la lumière y semble moins agressive. Ce n'est pas un hasard que L. ait été invitée sur scène par Sookee, cette personne dont les mots tracent une ligne droite entre sa bouche et les cœurs de celles qui l'écoutent rapper. Ce n'est pas un hasard que le plus grand des frissons nous ait traversées quand elles étaient là toutes les deux, micro à la main, qu'elles se regardaient et que leurs épaules roulaient au même rythme.

Ce n'est pas un hasard que ce weekend confirme l'idée que quand on toque aux portes qui nous parlent au plus profond, ça fonctionne, on commence à suivre une route dont on ne peut plus douter et la confirmation est évidente : ''I have that and I don't need anything else in my life'', selon L., qui reçut sa confirmation sous forme de courrier l'invitant à rejoindre les rangs du programme de Physical Theatre dans le mois. Ce n'est pas un hasard que dès le réveil on parle d'art, de créativité, d'appel, de battements, d'équilibre à trouver pour le bonheur, de peur, de l'art de just doing it, peut-être. Ce n'est pas un hasard qu'elles me posent la question de mon art, my thing, que je balbutie que les mots sont là sans pouvoir les trouver dans le moment, que quand ils sont écrits ils respirent mais qu'il faut les faire respirer au-delà, que pour l'instant j'essaye toujours de les mettre sur les autres, sur d'autres choses et que je me demande ce que ça veut dire et si c'est viable sans revenir à soi à voix haute, si un jour la coïncidence de ces directions sera réelle et se transformera en évidence.

Ce n'est pas un hasard que j'aie porté le même pull tout le weekend, large et moutarde, que je le garde même dans le train du retour, qu'il pue le cendrier froid mais qu'il soit comme une seconde peau. Ce n'est pas un hasard que je ne trouve pas mes mots ni les réponses aux questions du futur mais que je ne sais pas soit acceptée comme une option. Ce n'est pas un hasard que je me trimbale perdue et en bataille, souvent sans même pouvoir parler à la personne qui marche à côté de moi, et que malgré ce silence et mes yeux dans le vague,  j'attrape des bras ou l'on attrape le mien. Ce n'est pas un hasard que je serre la jambe de L. sur les marches, que je lui dise qu'hier elle n'a fait que récolter les fruits qu'elle a en elle, les fruits qu'elle a su semer et qu'elle me réponde tu sais toi aussi. Ce n'est pas un hasard qu'elle me propose de venir à Berlin, que je lui réponde plus tard we could be a planet et qu'on rigole de cette absurdité dont on comprend l'idée.

Ce n'est pas un hasard qu'il n'y ait pas eu de grands au revoirs, que C. et V. soient montés dans la voiture jusqu'à la gare juste pour faire le voyage, qu'on écoute Le Vent nous portera, que H. conduise vite, que je sois à la fois nerveuse et rassurée, que tout le monde soit tendu mais qu'on ne se le communique pas, que j'arrive avant mon train que je pensais vraiment rater, que je passe les 20 premières minutes à pleurer des flots d'émotions dans les toilettes du Thalys, que j'appelle H. et C. pour leur dire que c'est bon, je suis bien partie, je suis bien sur mon siège. Trois phrases pour terminer, des phrases qui se tricotent d'elles-même comme des points de suspension qui savent à quoi ils mènent : 
L'attirance pour l'absolu est une forme de radicalité. 
Space is there to be taken.
By those who know.


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