samedi 12 décembre 2015

28.05.15

Ce que je vois quand je le regarde c'est son buste, son t-shirt et ses bras par rapport au t-shirt, ses yeux derrière ses pommettes, sa jawline bien marquée, ses quelques boutons qui font rougir ses joues plus facilement, ses cheveux un peu longs depuis qu'il est rentré de voyage et joue au bernard-l'hermite dans cette coquille de maison. Il ne veut pas voir ses amis d'ici tout de suite, il écrit de longs mails à ceux qui sont ailleurs, il n'a pas de portable et se fait joindre sur le fixe tard le soir. Il répond à son pote I don't know man mais qu'un chanteur cubain lui donnera la réponse en tendant le combiné vers les hauts parleurs dont sort la musique à grand volume. Il reprend le téléphone en disant ok, ok, venez, c'est bon et se met aux fourneaux à minuit. Ce mec est une étincelle, il passe sa vie à rebondir.

J'entends toujours le bruit de ses pas qui dévalent les 6 marches jusqu'à la cuisine, ta-dam-ta-dam-ta-dam, ces mêmes marches auxquelles mes coups de serpillère avaient rendu leur couleur avant son grand retour. Au fond, cette journée était autant une arrivée qu'un retour. Ce mercredi 20 mai que j'avais passé à nettoyer la cuisine pour plus tard l'entendre dire it's clean, the stairs are white. Cette journée qui n'en finissait plus d'exister où chaque bruit nouveau me faisait sursauter car il aurait pu s'agir de sa clé dans la serrure. Je me souviens que j'avais fui la maison à 18h pour ne pas être là au moment-clé – pun intended. Je m'étais réfugiée à Goldsmiths avec S. pour voir le film sur le concert de B.B. King à la prison de Sing Sing en 1972 qui m'a mis les larmes aux yeux, qui m'a fait découvrir la chanson I shall be released par Joan Baez et la chaleur de son sourire face au public détenu.

J'avais tiré sur la longueur de la soirée, j'étais restée chez S. le plus possible pour être sûre qu'il serait là quand je rentrerais. Sur le chemin, plutôt que de la hantise, j'avais hâte d'à nouveau ressentir ce que ça faisait d'avoir du réel entre les mains. Le cœur légèrement en apnée, j'ai ouvert la porte et j'ai aperçu ses jambes en bas dans la cuisine. Je me suis lancée dans les escaliers comme on se lance d'un plongeoir dont on n'a plus vraiment peur. J'ai prononcé son nom et ça voulait dire mais te voilà. Puis je me suis avancée vers lui, j'ai reposé un hello de plus près et je l'ai pris dans mes bras quelques toutes petites secondes. It's been a long time il me dit en se précipitant vers la poêle qui attendait d'être lavée, juste le temps pour moi de lui répondre it has, it has en face à face, le reste de la conversation s'effectuant de dos car il semblait qu'il préférait reprendre son poste à la plonge. Mon sourire pour sa gêne discrète. Du ping-pong léger, des réponses furtives à des questions qui souvent ne le sont pas. Le voilà reparti, moi un verre d'eau à la main qui n'assouvit pas la soif que j'ai pour lui, ses histoires et la fugacité de son esprit.

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