Ce que je vois quand je
le regarde c'est son buste, son t-shirt et ses bras par rapport au
t-shirt, ses yeux derrière ses pommettes, sa jawline bien
marquée, ses quelques boutons qui font rougir ses joues plus
facilement, ses cheveux un peu longs depuis qu'il est rentré de
voyage et joue au bernard-l'hermite dans cette coquille de maison. Il
ne veut pas voir ses amis d'ici tout de suite, il écrit de longs
mails à ceux qui sont ailleurs, il n'a pas de portable et se fait
joindre sur le fixe tard le soir. Il répond à son pote I don't
know man mais qu'un chanteur cubain lui donnera la réponse en
tendant le combiné vers les hauts parleurs dont sort la musique à
grand volume. Il reprend le téléphone en disant ok, ok, venez,
c'est bon et se met aux fourneaux à minuit. Ce mec est une
étincelle, il passe sa vie à rebondir.
J'entends toujours le
bruit de ses pas qui dévalent les 6 marches jusqu'à la cuisine,
ta-dam-ta-dam-ta-dam, ces mêmes marches auxquelles mes coups de
serpillère avaient rendu leur couleur avant son grand retour. Au
fond, cette journée était autant une arrivée qu'un retour. Ce
mercredi 20 mai que j'avais passé à nettoyer la cuisine pour plus
tard l'entendre dire it's clean, the stairs are white. Cette
journée qui n'en finissait plus d'exister où chaque bruit nouveau
me faisait sursauter car il aurait pu s'agir de sa clé dans la
serrure. Je me souviens que j'avais fui la maison à 18h pour ne pas
être là au moment-clé – pun intended. Je m'étais réfugiée à
Goldsmiths avec S. pour voir le film sur le concert de B.B. King
à la prison de Sing Sing en 1972 qui m'a mis les larmes aux yeux,
qui m'a fait découvrir la chanson I
shall be released par Joan Baez et la chaleur de son
sourire face au public détenu.
J'avais tiré sur la
longueur de la soirée, j'étais restée chez S. le plus possible
pour être sûre qu'il serait là quand je rentrerais. Sur le
chemin, plutôt que de la hantise, j'avais hâte d'à nouveau
ressentir ce que ça faisait d'avoir du réel entre les mains. Le
cœur légèrement en apnée, j'ai ouvert la porte et j'ai aperçu
ses jambes en bas dans la cuisine. Je me suis lancée dans les
escaliers comme on se lance d'un plongeoir dont on n'a plus vraiment
peur. J'ai prononcé son nom et ça voulait dire mais te voilà. Puis je me suis avancée
vers lui, j'ai reposé un hello
de
plus près et je l'ai pris dans mes bras quelques
toutes petites secondes. It's been a long time il me dit en se
précipitant vers la poêle qui attendait d'être lavée, juste le
temps pour moi de lui répondre it has, it has en
face à face, le reste
de la conversation s'effectuant de dos car il semblait qu'il
préférait reprendre son poste à la plonge. Mon
sourire pour sa gêne discrète. Du
ping-pong léger, des réponses furtives à des questions qui souvent
ne le sont pas. Le voilà reparti, moi un verre d'eau à la main qui n'assouvit
pas la soif que j'ai pour lui, ses histoires et la fugacité de son
esprit.
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