Ce n'est pas l'Angleterre
qui pèse, je ne pense pas. Non. L'Angleterre c'est un
terrain plus que connu, c'est le territoire des mots, de l'accent,
des trottoirs aux larges dalles, du froid jamais glacial. Ca respire
le charme même dans le gris. Ce qui est déroutant, parfois, c'est l'étendue
de Londres et la non-place que cela implique quand on n'ose, comme
moi, la prendre nulle part. C'est la routine que je ne m'approprie
résolument pas, c'est la peine que j'ai à marcher, certains jours,
pour aller m'asseoir sur les chaises de Goldsmiths. Londres dans mes
yeux, c'est trop souvent la ville de la contingence. C'est des
possibles vers lesquels je ne me porte pas.
A Oxford ce weekend
c'était différent. J'avais Th. qui était aussi ravie que moi
de savoir que quelqu'un avait organisé son weekend autour d'elle –
elle pour moi, moi pour elle. J'avais le soleil, le vrai de printemps
qui rend sa lumière à la matière, en plein dans les yeux et dans
le dos, toute la journée, à en oublier mes lunettes chez Tesco pour
les y retrouver, miracle, le lendemain. J'avais T. en tenue de
course d'aviron, nice to see you Charlotte, qui m'a fait deux
hugs à l'arrivée et deux autres en partant. Il était content de me voir. Moi aussi. Pas besoin de beaucoup de mots dans ces cas-là. Il commence ses études
de médecine en septembre et quelque chose me dit qu'il sera un de
ces médecins qui disent apparemment très peu mais n'en comprennent
pas moins. Qui disent, au fond, peut-être juste ce qu'il est utile
d'entendre.
Aujourd'hui j'ai passé
une bonne partie de la journée avec les larmes à portée de cil, je
les sentais sous mes paupières inférieures et, même sous le soleil
radieux, il suffisait que je me replace et ressente mes pensées pour
que ça menace sérieusement de déborder. Le désir de se liquéfier,
de lâcher le panier de supermarché, oui, de fondre en larmes au
milieu du Sainsbury's. Je ne voulais plus avancer, je voulais me
cacher derrière les panneaux, m'asseoir dans le caniveau pour
pleurer, là, sous la resplendissance, la resplendeur (inventons des
mots) du soleil et de sa lumière d'une heure de l'après-midi. Puis le cours de C.W., sa décontraction, son ouverture, sa souplesse et son
enthousiasme. Il a parlé de son. On a manipulé des enregistreurs,
j'ai fait semblant d'être novice tout en me rendant compte qu'on ne m'avait jamais expliqué des rudiments de toutes ces beautés-là.
Il n'y a que nos
barrières internes qui ne soient vraiment rigides. Le reste, ça
peut toujours se discuter, se livrer, se partager, se déplacer. Je
vais retourner à Telegraph Hill Park. Je vais passer du temps à
poser des questions simples pour lancer des bouteilles dans des mers
d'histoires éventuelles. Dans mon cours, une fille crée une app
qui retracerait les missed connections. J'ai ouvert un paquet
de 4 scones chez C. qui avait fouetté la crème à la force de
ses bras. Avec des petites framboises et un thé Lady Grey, celui que
je prends à chaque fois que je vais la voir. 18h35, Love is strange,
Peckhamplex. B. et M. croisés sur le chemin c'est une belle
surprise, je suis fière de les montrer, je mets quelques
mètres à me remettre de la spontanéité de ce plaisir-là, je me
dis que j'ai dû rougir mais qu’heureusement il faisait presque
nuit.
Sur le retour, C. grimpe sur le muret d'un jardin pour
attraper une petite branche remplie de fleurs blanches au cœur
mauve. Je l'ai mise sur ma table de nuit, là, à côté de moi, dans
un petit verre de thé à menthe orné de doré – ceux que B. remplit de jus fraîchement pressé le matin et
qu'elle laisse pour M. sur le lave-vaisselle. Quand j'entends le
bruit de son super robot, il est accompagné du ronron des voix
matinales de BBC Radio 4 à travers le plancher. Elle porte son
peignoir prune à pois blancs et je me dis que pour moi c'est presque
l'heure du réveil mais pas encore tout à fait. Ce sont ces
bruits-là, ces repères-là, ces présences-là, qui me manqueront
quand ils seront en Espagne. Depuis qu'elle travaille dans cette
école à l'autre bout de Londres toute la journée, je parle plus
avec M. On rigole de tous les risottos qu'on se fait
chacun notre tour, on parle d'Oxford et des
inégalités instituées dans le système d'éducation anglais,
d'hélicoptères et de crashes d'hélicoptères, du voisin au n°66 –
en peignoir à 10h30! ''What's he like" – qui a réceptionné un
paquet à mon nom, le paquet contenant la nouvelle tasse Cath Kidston
de B. que je tiens à remplacer car mon pot de miel a chuté sur
la anse. Et je fais bien car apparemment c'était sa préférée, je
dis See, pour affirmer que ouf, c'est bon, je remets les choses à
leur place.
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