L. m'a écrit continue,
continue jusqu'à ce que tu voies de la verdure et un bassin. Keep
walking two blocks until you find a pond and a garden et
à Granary Square tu m'appelles. Avant de partir, il faut
toujours que je situe l'endroit où je me rends entre les teintes
beiges, bleues et vertes que m'offre Google Maps. Avec le décompte
du nombre de rues à laisser sur ma droite ou sur ma gauche, parfois
même avec l'allure des façades de la rue et enfin avec la distance
qui me sépare de ma station à pied, je me mets en route. Souvent je
photographie le plan avant de claquer la porte d'entrée pour calquer
ma photographie mentale aux vrais contours des environs. Habiter dans
une capitale écrasante c'est aussi apprendre à voir chaque
déplacement comme un court voyage: bouteille d'eau à ras bord, un
gilet au cas où, un livre que je n'ouvre jamais car les trajets sont
trop brefs pour permettre un vrai plongeon mais ça rassure, des
miettes dans le fond de la poche dont le zip ne zippe plus, des
podcasts entamés comme des biscuits qu'on oublie ensuite sur le bord
d'un meuble et les lunettes de soleil assurant que les
éblouissements restent plaisants.
Avant que C-I. ne
reprenne son Eurostar, on avait choisi de passer un moment dans ce
café au décor aussi minimaliste que finement étudié dont la
carcasse industrielle était mise à nu, les bouteilles d'alcool
décoraient les étagères et les verres n'étaient autres que les
verres Pyrex des cantines. Pour rire, on avait décidé de pousser la
tendance jusqu'au bout en commandant du crabe frit et du tofu. Ce
café jouxte une école d'art, les étudiants en sortaient tous avec
cette nonchalance légère et apprêtée, certains aimantaient le
regard. C'est au cœur de ce quartier en chantier, au milieu des
bureaux en hauteur, des halls d'expositions à louer, des fontaines
sans bassin, des grues, des casque d'ouvriers et des vitrines de pop
up stores que je me retrouvai deux semaines plus tard à chercher de
la verdure et un bassin en attendant L.
Je l'ai suivie comme
souvent je suis les gens de confiance, elle m'a fait passer dans des
préfabriqués qui sentaient le neuf et la sciure, that's our new
kitchen, au milieu de laquelle trônait une machine à café dont
dépassaient sagement les deux manches. Elle fit un flat white pour un
ouvrier collègue qui passait par là, elle fit claquer le
porte-filtre contre le tiroir, fouetta le lait et saupoudra la
mousse de cacao – l'application de ses gestes contrastait avec le bazar de l'autour – et le monsieur lui dit qu'elle faisait the
best coffee on the planet, que c'était merveilleux. Comment pouvait-il l'affirmer sans avoir gouté à tous les cafés de la planète? rétorqua-t-elle. Ensuite je me suis retrouvée au milieu d'une
autre cuisine, l'ancienne, presque vide car dépossédée de son
évier mais emplie d'une coordination joyeuse, de casseroles qui
portaient encore les traces des créations dans tous les coins et de
la chaleur du four allumé. Fritata, épinards, feta, caramelised
onions et ciabatta bread que l'on trancha là, sous le ciel de King's
Cross, alors qu'il était encore tiède et que L. s'émerveillait
des trous que la cuisson avait laissés. Charlotte you can
do what you want, either help me or read your book, just
feel at home. Du thé au gingembre frais avec de la menthe cueillie sous la serre en prenant bien garde de laisser les
petites feuilles, the babies, sur les tiges pour qu'elles
gardent toute leur energy.
Ils sont partis servir
leurs plats aux invités de l'autre côté et comme souvent j'ai
préféré rester au sein des lieux que je commençais à découvrir
plutôt que de passer à autre chose. Assise sur une chaise de bureau
à roulettes, la seule de la cuisine, face aux marmites, aux
planches, aux couteaux, je regardais passer les bus rouges par la
fenêtre et portais mon regard vers la gare pour me confirmer que, no joke, c'était bien là l'un des cœurs de Londres. BBC Radio 6 Music
décida de passer Electricity d'OMD. La bande originale du film Main dans la main, cette chanson postée sur ce blog du coeur qui bat depuis Montréal qu'il y a deux ans je réceptionnai à Salamanca les larmes aux
yeux devant ses mots, cette chanson délicieusement 80s qui ranime et
donne envie de prendre ses jambes à son cou. L. et les autres revinrent de leur service alors que j'arrosais les plantations avec une fille
belge qui m'offrit une cosse de petits pois. On a fini par s'asseoir
pour manger quelques restes, on a essayé de s'expliquer le plan du
sud-est de Londres à l'aide de gobelets, de branches, de tranches de
pains, les gouttes ont commencé à tomber mais on les a ignorées
quelques minutes, comme si on avait demandé un sursis pour finir ce
qu'on avait à dire, 4 ou 6 pas plus, comme si nous chuchotions à
l'univers que nous n'étions pas en sucre.
J'ai rendu à L. son
pantalon emprunté la veille parce qu'elle tremblait, j'ai repris mon
train pour Nunhead en changeant à London Blackfriars sous les
conseils adorables d'un employé, j'ai écouté les voix des
marcheuses de Belleville en pestant contre mes écouteurs qui chopent
tous les frottements de mon écharpe. Je me suis demandée comment
j'arriverais à la maison sans faire pipi dans ma culotte. La maison
était plongée dans une fausse pénombre et ça sentait l'encens et
l'oignon cuit. J'ai lancé un
hello-point-d'interrogation laissé sans réponse. Ce n'est que 10
minutes plus tard que je n’entendis qu'une seule voix en plus de la
sienne, une voix qui rigolait bien entendu, une voix féminine. Ceci
expliquait donc les guirlandes de lumières et le silence qui ne l'était pas. D'accord. Enfin je pourrai lui parler dans les yeux et me
révéler sans examiner chacun des mots que je pose. J'aimerais lui
dire qu'il est merveilleux, que c'est un gros lover, qu'il nous fait
toutes tomber et que l'idée, oui oui, l'idée seulement, d'un baiser
du haut de Telegraph Hill figure dans le top 3 de mes moments de rêve
absolu. Le détachement véritable n'est possible qu'en
présence de la présence dont on aspire à se détacher. Les choses
pourront je l'espère retomber à leur place sans
affecter l'affection. Je me libère d'une option, j'en veux d'autres
sans les connaître, je ne veux pas trop aller à ce rendez-vous
demain, je ne sais pas, mais je vais y aller pour voir tout en me
réservant la liberté de me libérer, encore une fois. Il est 2h30,
les oiseaux piaillent très légèrement, un yaourt et au lit.
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