jeudi 20 septembre 2012

19.09.12


En entrant dans le Parque de los Jesuitas, j'ai trébuché sur un caillou et un homme d'un certain âge m'ordonna de faire attention avant de m'inviter à m'asseoir à ses côtés. Il avait deux revues de supermarché et m'a fait cadeau de l'une d'entre elles. Il chassait les mouches de son front avec l'autre. Venga, mira, sentate. J'ai l'impression que les espagnols ne communiquent qu'à l'impératif, qu'ils y vivent en plein dedans. Eres una mujer guapa. D'ordinaire une phrase comme celle-ci prononcée dans un lieu public par un inconnu ne pourrait qu'être associée à du mépris d'un homme envers une femme, ceux qui ne calculent qu'en raccourcis et parviennent à leurs fins plus qu'on ne croit. Mais il faut aussi apprendre à recueillir les compliments, ne pas toujours les laisser filer et essayer pour quelques heures de les porter contre soi. Bueno, guapa no, guapa no. Fea no. Pues, interesante. Una mujer interesante. Tienes ojos de mala y una carra de buena. Mais qu'est-ce qui m'raconte le pépé? Je pensais qu'il employait là une expression idiomatique qui échappait à mon entendement mais il contesta. Ses phrases me laissaient pantoise. J'étais partagée entre la tendresse que l'on accorde aux grands-pères sensibles et un certain renfrognement devant tant d'invasion. Il tâta mes mains et me conseilla de mettre de la crème car toute femme pourrait faire fortune à condition d'avoir les mains douces. C'est déroutant d'accorder à un inconnu le droit de vous dévisager. Et puis, bien entendu, il me dit que la jeunesse ne savait plus communiquer, qu'ils perdaient tous le goût de la parole et qu'ils ne formaient qu'un ensemble de gosses de riches nés dans des familles trop pauvres pour subvenir à leurs aspirations sans lendemain, ce qui conduisait l'Espagne d'aujourd'hui à becter une génération de nini: ni estudio ni trabajo.
Et plus tard, j'ai décidé que j'irais tellement plus volontiers visiter les rayons du Carrefour en périphérie que les tours des cathédrales. Ce supermarché était un modèle standard et aurait bien pu se trouver dans la zone commerciale de Brétigny-sur-Orge, sortie 21, première à gauche après le feu, semaine de rentrée, -20% sur les fournitures à partir du 3e enfant, bonjour-avez-vous-la-carte-carrefour. J'avais besoin de ma dose quotidienne d'agitation urbaine, de me faufiler entre les caddies, dans les étalages de la marque repère et choisir, ou non, de mettre un peu plus sur les yaourts juste une fois, de ralentir quand devant moi la personne ralentit et que le trottoir est trop étroit pour impoliment lui passer devant, de griller les feux rouges, de lécher les vitrines sans rien emporter mis à part du parfum sur le poignet.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire