En entrant
dans le Parque de los Jesuitas, j'ai trébuché sur un caillou
et un homme d'un certain âge m'ordonna de faire attention avant de
m'inviter à m'asseoir à ses côtés. Il avait deux revues de
supermarché et m'a fait cadeau de l'une d'entre elles. Il chassait
les mouches de son front avec l'autre. Venga, mira, sentate. J'ai
l'impression que les espagnols ne communiquent qu'à l'impératif,
qu'ils y vivent en plein dedans. Eres una mujer guapa.
D'ordinaire une phrase comme celle-ci prononcée dans un lieu public
par un inconnu ne pourrait qu'être associée à du mépris d'un
homme envers une femme, ceux qui ne calculent qu'en raccourcis et
parviennent à leurs fins plus qu'on ne croit. Mais il faut aussi
apprendre à recueillir les compliments, ne pas toujours les laisser
filer et essayer pour quelques heures de les porter contre soi.
Bueno, guapa no, guapa no. Fea no. Pues, interesante. Una mujer
interesante. Tienes ojos de mala y una carra de buena. Mais
qu'est-ce qui m'raconte le pépé? Je pensais qu'il employait là une
expression idiomatique qui échappait à mon entendement mais il
contesta. Ses phrases me laissaient pantoise. J'étais partagée
entre la tendresse que l'on accorde aux grands-pères sensibles et un
certain renfrognement devant tant d'invasion. Il tâta mes mains et
me conseilla de mettre de la crème car toute femme pourrait faire
fortune à condition d'avoir les mains douces. C'est déroutant
d'accorder à un inconnu le droit de vous dévisager. Et puis, bien
entendu, il me dit que la jeunesse ne savait plus communiquer, qu'ils
perdaient tous le goût de la parole et qu'ils ne formaient qu'un
ensemble de gosses de riches nés dans des familles trop pauvres pour
subvenir à leurs aspirations sans lendemain, ce qui conduisait
l'Espagne d'aujourd'hui à becter une génération de nini: ni estudio ni trabajo.
Et plus tard, j'ai décidé que j'irais tellement plus volontiers
visiter les rayons du Carrefour en périphérie que les tours des
cathédrales. Ce supermarché était un modèle standard et aurait
bien pu se trouver dans la zone commerciale de Brétigny-sur-Orge,
sortie 21, première à gauche après le feu, semaine de rentrée,
-20% sur les fournitures à partir du 3e enfant,
bonjour-avez-vous-la-carte-carrefour. J'avais besoin de ma dose
quotidienne d'agitation urbaine, de me faufiler entre les caddies,
dans les étalages de la marque repère et choisir, ou non, de mettre
un peu plus sur les yaourts juste une fois, de ralentir quand devant
moi la personne ralentit et que le trottoir est trop étroit pour
impoliment lui passer devant, de griller les feux rouges, de lécher
les vitrines sans rien emporter mis à part du parfum sur le poignet.
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