Sur le chemin vers les r
que l'on roule autant que l'on racle et des filles que l'on interpèle
à coups de guapa, mes yeux se sont remplis du vide des champs
parsemés de taureaux marrons, noirs ou blancs qui avaient sous les
pieds de l'or à n'en plus finir. Dans mes oreilles la voix
pétillante de Sonia Devillers pour adoucir la perte de repères
imminente. Pas la même langue que ce que mes yeux voyaient pour
conserver un équilibre sans larmes. Alors que le soleil
disparaissait derrière les collines en soulignant les silhouettes
des églises, les gens se promenaient par deux sur les chemins à
peine battus bordant l'autoroute, les bras souvent liés. Un désert
reclus malgré son étendue, à l'ombre des villes mais pas de la
lumière, peuplé d'un ensemble de figurines respirant la quiétude.
Et puis sous le ciel bleu marine sont soudain apparues deux
cathédrales, dominant majestueusement une ville qui porterait, je
l'espérais de tout cœur, le nom de Salamanca. Comme si les
scintillements de la ville, même les ampoules les plus vacillantes
aux coins des boulevards, finissaient par ne faire plus qu'un en illuminant cette dentelle de pierre ocre. Je me dis toujours que tant
qu'une ville est bordée d'une rivière, l'air frais sait se trouver
en cas de besoin. Après l'empressement de l'arrivée dans les soutes
de l'Avanzabus, après l'étreinte maternelle de ma voisine
ponctuée d'un Si te puedo ayudar te ayudo mi niña, une forte
brise m'a saisie toute entière et empêchait mon gilet de rester
boutonné. Je marchais à cœur grand ouvert le long du trottoir dont
les roues de mes valises faisaient résonner toutes les dalles. Le
vent m'enveloppait de tout son souffle et, à cet instant, cette
fraîcheur crépusculaire m'apportait la dose de chaleur nécessaire
en terrain inconnu. C'est une angoisse grisante qui parcourt les
veines de celui qui arrive à bon port sans savoir ce que réservent
les jours à venir, si son aventure, aiguillée par le plan de la
ville, s'imposera comme une évidence ou s'il se trouvera à
rebrousser chemin après avoir perdu le nord. Le pincement au cœur
ne m'a toujours pas quittée et les larmes surgissent sans mal. Je me
convainc que, bon, sans prétention aucune, I've
done that before et que l'Espagne respire la bonté par tous les
pores. Tant que des anglais sonneront à la porte et me diront
nice to meet you, tant que
les espagnols ponctueront leurs phrases de cariño ou mi
niña, que leur spontanéité me fera rougir jusqu'aux oreilles,
tant que l'on récoltera des citrons calcinés sous la cuisinière et
que j'irai acheter les miens aux halles qui jouxtent ma rue, tant que
je parviendrai à m'extirper des dynamiques Erasmus et à faire des
fautes de grammaire sans chercher à m'enterrer dans la seconde, je
me dirai que ces quelques semaines ressemblent presque à une belle
promesse.
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