Si je n'ai pas défait ma
valise, c'est que je voulais que tout reste dans les plis de mes
vêtements. Pendant ce dernier mois de janvier qui s'annonçait très
déboussolé, et non moins déboussolant, j'ai en fait compris ce que
ça voulait dire de s'être fait une vie quelque part. Et surtout, à
défaut d'avoir compris car pour comprendre il faut d'abord accepter,
j'ai senti, j'ai vu, j'ai ri et pleuré ce que ça représente
d'arriver au terme d'une vie qu'on s'est faite quelque part.
Dans ma valise dont les
fleurs bleues m'accompagnent depuis le début de mes croisades, il y
avait toute l'essence de cet amour d'eux pour moi, cet amour qui m'a
éclaboussé au visage, et même pour de vrai, le soir de mon
anniversaire dans la simplicité d'une surprise vraiment surprise.
Cet amour qui m'était trop lourd, que j'ai fui en claquant les
portes et en tremblant dehors sans manteau. Cet amour taillé sur
mesure qui s'est imposé à moi, l'impossible à nier, et qui luisait
le plus quand je me retrouvais seule. Il me soufflait des choses
comme oui ça fait peur, oui tu veux fuir, mais oui, bordel, c'est
pour toi donc s'il te plaît, arrête ton char quelques minutes et
pose les armes. Tout ce dont une personne a besoin, c'est ça, c'est
juste ça et tu l'as en ten-fold. C'est trop gros pour fermer les
yeux, hein? Tu vois, no discussion. Le
plus troublant c'est que de ne pas croire en moi, c'est un peu ne pas
croire en eux. Et ça, ça impliquerait un sérieux flaw
dans la logic de la
confiance qu'on s'est accordée pour tous en arriver là. Pour
parvenir à lire noir sur blanc la preuve de liens tissés dans cette
ville dont on ne parle même pas la langue, ces liens qui abolissent
toutes formes de frontières. Donc on se tait et on dit merci. Pas
très fort, jamais, mais en pesant chaque lettre et les yeux dans les
yeux.
Ce que je laisse derrière
moi, c'est les boucles de L., les bisous que j'y dépose en taisant
tous les mots qu'elle entend, la confidence de mon drap tâché de
son sang, c'est ma couette collée à son radiateur brûlant qui me
réchauffait trop. Dans sa chambre, les bruits de la rue montaient
jusqu'entre les fenêtres et m'empêchaient souvent de dormir.
J'entendais tout, les gens qui crachent leur poumons dans le
caniveau, les talons sur les pavés à 2h15, les ambulances, les
moteurs des scooters qu'on conduit sans casque, les cigarettes qui se
consument dans le froid, l'anglais, le néerlandais, l'arabe et le
silence. C'est le parfum dans la nuque de M. dont l'odeur me
reste sur le front quand on se dit à plus tard le matin, c'est sa
chambre glaciale qui l'est beaucoup moins quand on est à deux sous
sa couette blanche, c'est les heures d'après minuit qui s'égrènent
sans gêne, sans hâte, à quoi bon puisqu'on prend toujours le temps
de tout se dire. C'est elle qui ne se couche jamais avant 3h car
certaines passions s'invitent dans sa vie, et ce dans toutes les
villes du pays. Je veille à ce qu'elle ne s'égratigne pas
démesurément. Dans les cas extrêmes, on peut appeler l'ambulance,
oui, ça se fait, mais n'en faisons pas une habitude darling. J'ai
presque fait de tous les lits de la maison des lits d'un soir,
clandestine ayant la permission de l'être. J'hésitais même à me
faire l'amante d'un soir mais j'ai finalement trop hésité. J'ai
offert ma jambe à d'autres jambes, mes bras à d'autres avant-bras.
Je laisse des actes manqués, des regards qui disent allons-y et des
gestes qui disent allons bon. La présence de J., sur la fin,
m'électrisait et s'offrait comme un possible, ceux dont on avait nié
l'existence et qui rassurent car ils ramènent un corps à la vie en
deux deux, là, quand tout se résume à des choses qu'on ne dit pas
mais qu'on voudrait crier. Je ne sais pas très bien comment je
trouverai à un rythme à mes journées sans celui des playlists de
J. et de M. le matin lors du petit dej, je ne sais pas si je
pourrai compter quoi que ce soit sans penser à L. comptant les
mailles de son tricot, je ne sais pas si je me referai à la bise
française car je cherche instinctivement l'accolade.
C'est dur quand tout
s'évapore malgré les efforts qu'on fait pour que les souvenirs
demeurent des réalités. A présent, et au futur, ce sera l'amour en
éparpillé, en courrier, en minuté, en moins concentré. Les mots
en simultané, les appels, les soupirs, les I miss you qu'on
a déjà tellement usés. Le changement, le
réajustement – on l'espère de toutes nos forces – n'opère que
dans la forme car le fond, on le retient, le fond, ou ne serait-ce
que la certitude du fond, on le veut à jamais.
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