C'est une année qui
s'écoule, c'est vraiment rien, c'est juste le chiffre 365 qui un
jour s'est mis à symboliser le terme de quelque chose, le début
d'une phrase et sa fin, quelque chose de clos, d'incommensurable, de
fluide et de fuyant. Mais un an, au final, c'est une petite éternité mise en boîte, c'est plus que le
temps qu'il faut à un bébé pour en venir à l'existence.
J'ai accueilli 2013 en
tirant un trait de Strasbourg à Salamanque et j'ai pris cette route
en bus de nuit, de jour, à travers les frontières et les odeurs
âpres que dégage un groupe d'inconnus. L'Espagne du Nord me saluait
de son ciel bleu et quelques jours plus tard je me suis dit regarde,
un peu, comme tu sais rendre tiennes des terres nouvelles. Regarde,
encore, comme l'appréhension de tout et son contraire fait monter
les larmes, celles qui coulent si difficilement d'habitude, et bien
parfois un rien les fait basculer, regarde comme c'est pas grave,
regarde comme il faut accepter que ça coule à flots. Ensuite, après
les derniers exams et dossiers en espagnol, les derniers documents à
ranger dans le dossier USAL, les derniers correos, les
dernières annonces sur Studium, après
avoir décroché mes rideaux, plié mes draps, offert mes tasses,
j'ai proposé à V. d'aller prendre un café, cette jeune prof
qui me fascinait de pertinence et d'esprit et de fraîcheur, de
charisme, de bonté, une de ces personnes qui vous redonne foi, je ne
sais pas exactement en quoi mais assez pour au moins continuer la
route empruntée et aller au-delà de ce qu'on pensait savoir faire,
ne serait-ce qu'envoyer un mail qui pose la question d'un
rendez-vous.
2013 c'est l'année du
retour à Maastricht, c'est la rencontre d'I. dans la maison qui
deviendrait the house of love, the house of Jospeh, c'est les
non-dits avec H., les redits plus tard, c'est I. qui dort sur le
canapé, c'est l'été qui passe, c'est septembre, c'est the house of
love qui tombe en ruines dans tous les sens du terme, mais à feu
doux, c'est cette maison où nos vies ne battaient certes pas à
l'unisson mais, disons, dans une tonalité voisine. C'est trois
nouveaux, c'est moi qui reste, c'est la rancœur de plus-de-maison
dans ma maison et c'est la poussière qui s'accumulait souvent sous
mes meubles. C'est l'agence qui dit allez c'est fini tout le monde
dehors, c'est les clés qu'on laisse sous la porte, c'est cette même
porte qui referme un chapitre tellement fondamental qu'il est presque
insensé de soupeser le poids de la chose. C'est les thés avec I.,
avant, après, pendant ce remue-non-ménage et le bien-être que
m'apporte sa présence.
C'est
la Turquie, c'est l'hospitalité, c'est les températures idéales,
c'est la richesse des saveurs, c'est un groupe de 9 personnes
ensemble pendant une semaine, c'est la mer comme je ne l'avais jamais
vue. C'est mes crises de larmes dans des toilettes, des salles de
bain, c'est la pression d'être vue comme ce que je ne suis pas, oui,
c'est la frustration la plus profonde d'être peut-être perçue
comme quelqu'un d'autre. C'est les accidents de voiture qui fauchent
la vie alors même qu'elle commençait. C'est A. qui m'apprend
à conduire mais surtout à privilégier ma sécurité à celle des
autres, à ne pas m'oublier, qui me dit accélère, qui me dit pose
ton cerveau, qui me dit respire t'es pas un poisson rouge, qui me dit
qu'à me parler on dirait que j'ai 30 ans, qui
me dit si j'avais un enfant de 22 ans, je lui dirais vis
et qui me dit au lieu de te demander pourquoi tu veux
passer la troisième, passe-la.
C'est M. C'est M. comme
un cadeau tombé du plafond, c'est la justesse de ses questions, la
bonté de son affection, la grâce de sa présence, sa profonde
admiration qui me conforte dans ce que je suis, son sourire, son
bazar, ses cigarettes, ses musiques, Mademoiselle Dior, Dior Poison,
c'est mon téléphone qu'elle fait sonner au moins une fois tous les
jours, vraiment juste pour savoir comment je vais ou me poser une
question qu'elle a déjà oubliée quand je décroche, c'est tout le
monde qu'elle appelle baby, c'est
naturel. C'est L. et L. de plus en plus, ça je le sens, c'est
tout, son intelligence, sa créativité, sa maturité, nos
éducations, c'est son aura et son affection qui m'ont manquée les
mois derniers. C'est J. C'est J. presque tous les jours, c'est nos
chemins en parallèle, c'est l'immense affection qui nous lie, ce
respect, cet intérêt, c'est la profondeur, la certitude, vraiment,
cette chaleur très réservée, la mesure, la proportion, le grand
courrier, le long cours. C'est que ça fait bizarre de passer une
journée sans savoir ce qu'il fait, c'est nos échanges de retard, de
mots pas écrits, le temps qui passe sans qu'on sache où il va,
c'est l'angoisse des deadlines, c'est nos Capstone qui ont pris forme
et fin côte à côte. C'est J. qui rencontre H. à Sydney et c'est
H. à Paris, c'est l'autoroute entre Maastricht et Paris et les
camions belges.
C'est
l'inconditionnelle, J., celle qui me garde et me suit et me trouve et
me cherche, qui se soucie profondément de moi, qui me remet sur ma
route, qui me voit telle que je n'ose me voir. C'est C-I., celle qui
voit un peu plus loin et un peu moins tordu, c'est son goût, c'est
Paris qu'elle adopte à mesure que les mois passent, c'est
l'immédiateté de nos échanges, de nos intérêts, c'est nos jugements des détails, c'est nos ondes
sur la même longueur, c'est se voir amies de tous les âges. C'est
M., la perle des crèmes, je me répète, mais c'est sa clairvoyance,
c'est son admiration que je sens, c'est mon amour pour elle, ma
confiance en elle, c'est ses boucles, c'est ses 14 ans, c'est quand
elle dit Charlie t'es vraiment une personne bien, je sais pas
pourquoi tu réfléchis autant. C'est cette discussion
téléphonique avec M., le jour où je suis parvenue à laisser mes
rancœurs de côté et à lui parler pour elle et rien que ça, sans
forcément qu'elle m'entende et sans crever tous les abcès. C'est
H. qui me sent plus qu'on ne parle, c'est ce lien entre nous qui est
si réel quand elle est là, tellement qu'on oublie parfois de le
cultiver mais c'est elle qui me dirige quand la voix m'est coupée et
que je suis à l'ouest, désemparée, désarticulée, sonnée et
qu'en silence je me bouffe de l'intérieur. C'est
L., sa fraîcheur, sa beauté, sa bonté, sa sobriété, c'est
l'affection qu'on a pour des personnes qu'on connaît très vite
parce que les confidences se font sans souci.
C'est
des saisons, c'est Brive, des allers-retours entre Altillac et Brive,
l'été en Galaxy, puis seule, aussi, quand je rentre de Bordeaux,
que je fantasme sur les jeunes contrôleurs, c'est le bus de 22h08
qui passe par Turenne, St Denis près Martel et tout ça, qui capte
RFM à toute heure, c'est Bretenoux à 06h19, c'est N. et ses tâches
de rousseur, c'est mon courage, c'est mon affirmation, c'est mon
numéro que je laisse sous son siège. Seule, encore, j'arrive en
Corrèze en novembre, c'est les jeunes en campagne, c'est mon
dictaphone sur les tables des Voyageurs, c'est une jeunesse en
jachère que je ne vois pas tellement résignée, ils parlaient d'eux
à travers moi, et ça, ça n'a pas trop de prix. C'est le fruit de
mes efforts, de ma détermination non-apparente et insoupçonnée,
c'est mon projet, c'est moi qui fais quelques pas, peut-être, qui
sait, en tant que journaliste des intérieurs. C'est Michel Debats
que je rencontre à Nation un samedi d'octobre qui me dit allez-y
vous verrez c'est merveilleux.
C'est C, c'est la soutenance de C., c'est les rendez-vous dans son
bureau à deux minutes du reading room, c'est trouver du réconfort
sans toujours obtenir les réponses que j'attendais, c'est lui qui me
montre sans le vouloir que je suis le maître à bord et que je peux
faire tout ce que je veux faire, c'est sa fille dont il parle sans le
faire. C'est the reading room, plus que jamais, c'est ma deuxième
maison, c'est UCM, c'est la chance d'y être qu'on réalise autant
qu'on en a marre d'être pressé, marre marre marre de me presser ma
propre chair. C'est ma maladresse et ma recherche d'absolu.
C'est
Benjamin Biolay, c'est Lyon l'été, c'est Fourvière la nuit et les
murs de pierre qui font résonner ses chansons, c'est les bords de
Saône avec M., c'est les parquets des rez-de-chaussée de la Croix
Rousse avec M., c'est trois jours qui m'ouvrent des portes
intérieures, c'est un héritage. C'est des bonnes notes, c'est des
papers dont je suis fière, c'est les banlieues qui posent problème,
c'est la République qui fait de ces problèmes de plus gros
problèmes, c'est la campagne invisible, c'est le tissu vivant du
territoire français qu'on ne laisse pas toujours parler. C'est
l'absence de Pauline
et son coeur qui bat à l'abri des regard et ça fend le mien. J'ai
un peu perdu mon nord depuis qu'elle n'écrit plus au grand jour mais
on s'en sort, on s'en sort, elle existe, c'est déjà pas mal. C'est
les limites, c'est l'oubli de moi, c'est les œillères que je porte
pour trouver des excuses et ne rien changer, c'est la peur qui m'est
vissée à l'estomac la majeure partie du temps, c'est moi qui rougis
trop souvent, c'est moi qui veux me cacher, c'est moi qui me tape
dessus, c'est le non-respect de ma personne qui passe souvent
inaperçu, c'est les chaînes dont je m'entoure, c'est la recherche
d'autre et d'ailleurs, c'est la peur du bonheur, c'est mes batailles
contre moi et l'autre moi. C'est Fauve, la grande découverte, qui
crie, qui crisse, qui claque, qui met les maux en mots, qui dit tout
n'est pas fragile, n'attends rien que de toi, tu es infiniment
nombreux et tellement de choses encore.
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